La tauromachie:
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Je suis le taureau qui depuis l’Asie jusqu’aux forêts de Ligurie, a régné par la joie, par l’art et par le sang sur les peuples méditerranéens. Mon image orna les temples d’Assyrie. J’ai donné ma force aux Romains. Je suis Apis, je suis le Minotaure, je suis le souffle que nul ne peut enclore…et j’ai été le dieu Mithra. Folco de Baroncelli-Javon L’essai présent, se concentrant autour du thème de la tauromachie, tentera, sous une perspective anthropologique, de retracer l’ancestralité de la pratique, mais également le symbolisme du taureau, animal sacré des civilisations mésopotamiennes et méditerranéennes. On le
sait bien l’Homme et le taureau disposent d’une relation millénaire.
Dès l’époque reculée de la préhistoire
les cavernes paléolithiques et néolithiques laissaient entrevoir
images et scènes évoquant l’incroyable force et l’intensité
de l’énorme aurochs ( Bos primigenius ) et de son fameux
descendant le taureau ( Bos taurus ). Les gravures et peintures rupestres
anciennes, dont celles d’Altamira en Espagne et de Lascaux en France,
dépeignent un animal très fascinant, tout en étant
terrifiant et dangereux. Une chose était certaine, face à
cette bête, personne ne restait indifférent. Ces animaux
représentaient en général la force, la virilité,
l’énergie, la vigueur et bien sûr la fertilité.
Les cornes de la bête, esquissant une forme phallique évidente,
étaient associées à la masculinité et donc
à la virilité et la sexualité. Le taureau était
associé à la fertilité humaine, mais également
la fertilité de la terre et l’agriculture. Le sang extorqué
par le sacrifice de la bête nourrissant emblématiquement
la terre et les dieux. L’enracinement premier et véritable
du culte du Dieu-Taureau a été concentré autour de
la grande région de l’ancienne Mésopotamie ( une région
touchant les Etats actuels de l’Irak, de la Syrie et de la Turquie
) lieu des premières grandes civilisations. La formation de Sumer
(~ 3500-2000 av. notre ère ) a été caractérisée
par l’adoration du taureau, seigneur de la terre. Les quelques objets
du culte ancien sont exemplifiés par les statuettes de taureaux
et les diadèmes à cornes de la grande ville sumérienne
d’UR et les objets sacrés des tombeaux de Mari. Les Sumériens
sont également connus pour leurs multiples représentations
de la bête légendaire disposant du corps musclé de
la bête à corne, mais possédant une tête bien
humaine. On trouve également d’innombrables sculptures du
taureau-gardien sur les temples ( ziggurat ) et les palais. Ces idoles,
croit-on, servaient à repousser les « mauvais esprits ».
Les civilisations mésopotamiennes d’Akkad ( ~ 2350-2200 av
J.-C.) et la Babylone d’Hammourabi ( ~ 2000-1600 av. J.-C. ) héritèrent
du culte et vénèreront ainsi les dieux célestes taurins
Hadad, Enlil… Pour leur force brute et sauvage. Le royaume d’Assyrie
( ~1350- 610 av J.-C. ) érigea d’énormes effigies
à la grandeur de l’animal, divinité centrale gardienne
des peuples, à l’entrée de palais et de cités.
De surcroît les cornes de taureau étaient la marque de la
divinité sous L’empire des Hittites ( ~1600-800 av. J.-C.
) dont les artefacts abondent entre autre dans la région de l’Anatolie
en Turquie. Les cornes supportaient supposément le monde et étaient
de cette façon les piliers de l’univers… Le culte commun
aux civilisations mésopotamiennes s’est lentement diffusé
à partir du croissant fertile vers les régions avoisinantes.
Ainsi on peut citer les divers emblèmes de taureaux ailés
de Suse ( situé sur le territoire de l’actuel Iran ) et la
vénération subséquente du taureau en Palestine. Les
différentes chasses au taureau, animal sacré, entreprises
par les cavaliers mésopotamiens, armés de lances et de poignards
peuvent ainsi être considérées comme une pratique
qui inspira possiblement les cavaleiros modernes. En Égypte ancienne
( ~3000-2575 av J.-C. ) le culte du bœuf sauvage succède sans
difficulté au règne limité des royautés toutes-puissantes.
On retrouve des sculptures, des scènes de chasses rituelles etc.
dans les monuments funéraires ( Mastabas ) de cette époque.
La pratique continuera tout le long de la période du Nouveau royaume
( ~1550-1070 av J.-C. ) et suivra les courants du Nil. De nombreuses reproductions
du taureau ont ainsi été retrouvées dans les Nécropoles
de Saqqarah ainsi qu’à l’intérieur des fameux
tombeaux de la vallée des rois. Occupant une place de première
importance dans le panthéon égyptien Apis, le Dieu-taureau,
portait le soleil rouge entre ses cornes et symbolisait la force et la
magnificence des dieux ( Dupuy et Perrin, 1990 ). La fusion ultérieure
des cultures hellénistiques et égyptiennes avec la conquête
d’Alexandre le grand donnera naissance au grand dieu Zeus-Amon qui
sera lui aussi muni de cornes de taureau ! Les Crétois, forts de
leurs échange commerciaux ( et par conséquent d’idées
) avec l’Égypte et Sumer adopteront eux aussi le culte de
l’animal à corne dès 3500 avant notre ère.
Les magnifiques fresques, poteries et peintures du palais de Knossos révèlent
une pratique très particulière rappelant le travail actuel
des forcados portugais. Jeunes garçons et filles affrontaient à
main nue des taureaux capturés pour le sacrifice cérémoniel.
Ceux-ci empoignaient les défenses de l’animal pour ensuite
lui sauter par dessus. Ces fêtes taurines, croit-on, célébraient
la victoire de l’homme sur la force brute. Cette importance symbolique
du taureau continuera à l’Antiquité et fera tout le
pourtour du bassin de la méditerranée en plus de la Mésopotamie.
Le culte s’enracinera plus tard à Athènes et Thèbes,
villes de la Grèce Antique, en imprégnant le cœur de
la théologie de l’époque. On peut facilement prendre
comme exemple du mythe de Zeus se transformant en taureau blanc afin de
capturer sa future épouse Europa. De plus nombreuses sont les références
théologiques aux minotaures ces redoutables créatures mi-homme,
mi-taureau. La Chypre livre également des vestiges très
intéressants à ce sujet. D’innombrables artefacts,
certains d’entre eux datant de plus de 4000 ans, idoles, objets
en terre cuite, statuettes, stèles, masques de taureaux etc. mettant
en scène le toro sacré ont été déterrés.
C’est dans la région de Thessalie en Grèce que l’illustre
Jules César deviendra familier avec le combat de taureau à
dos de cheval ( tout comme le toureio équestre portugais ) à
l’occasion de fêtes tauromachiques tenues à cet endroit
particulier. Le pontife introduira plus tard ces « spectacles »
dans diverses arènes de l’empire romain. A Rome l’engouement
pour la tauromachie prendra deux formes, le combat de taureau à
pied et à cheval. Les démonstrations de cavaliers thessaliens
pourchassant des taureaux sauvages étaient ainsi chose courante.
Ces derniers, à la toute fin du combat, laissaient momentanément
leur selle afin de bondir sur le dos du taureau, complètement épuisé
et le mettre au sol en l’agrippant fermement par les cornes. Ses
« corridas » à l’ancienne se poursuivront bien
après la chute de l’Empire romain d’Occident en traversant
le Moyen-âge et la Renaissance pour être maintenant pratiquées
au Portugal. Il est intéressant de noter que le dieu romain Jupiter
sera à l’avenant lui aussi représenté par un
puissant taureau. Le taureau sera cependant dépouillé d’une
grande partie de son sens magico-religieux. Fait notable le culte de Mithra
( divinité perse symbolisant la lumière ) propagé
par les légions romaines venues de l’Orient, pénétrera
rapidement les esprits de l’empire romain. Mithra était un
héros mythique ayant reçut l’ordre divin de tuer un
taureau farouche. Mithra transperça ainsi mortellement le fauve
d’un puissant coup d’épée. Ce sont les Romains
qui familiarisèrent réellement les peuples de la péninsule
ibérique à l’immolation du taureau et les combats
avec la bête, malgré le fait que les habitants de ces terres
vénéraient déjà, d’une certaine façon,
la bête sauvage. A l’occasion de grandes fêtes publiques
on commença à pratiquer le sacrifice du taureau. Ce dernier
était souvent immolé sur un autel prévu à
cette fin à l’aide d’un poignard. Nombreux autels «
tauroboliques », servant à l’exécution cérémonielle
du taureau, ont ainsi été retrouvés en Italie, en
France, en Espagne…( Dupuy et Perrier, 1990). L’image du taureau
dominait fortement la vie, les coutumes, les croyances de ces diverses
communautés. On s’en doute sûrement, les peuples de
la péninsule ibérique on véritablement embrassé
ces rites et ont su les conserver ( avec quelques modifications bien sûr
) jusqu’à aujourd’hui. La tradition tauromachique a
par la suite été exportée au sein des Amériques
via les Portugais et les Espagnols eux-mêmes héritiers, à
la base, de coutumes antiques indéniables. Bibliographie DUPUY,Pierre
et PERRIN, Jean. Ombres et soleils sur l’arène : La tauromachie
à travers les âges, Editions La Manufacture, Paris,
1990.
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