Contos, Mitos et Lendas Par Émilie Castonguay-Laplante |
Il
est difficile de définir ce qu’est un brésilien typique. En effet, la
culture brésilienne est composée de tellement d’éléments métissés qu’il
est difficile de la simplifier en un seul stéréotype. Ce métissage est
très bien reflété dans l’immense univers des contes, mythes
et des légendes du Brésil. Un conte selon la tradition
brésilienne est une histoire inventée, très souvent moralisatrice que
l’on raconte aux enfants et qui se transmet oralement de génération
en génération. Il existe bien sûr des versions papier des contes brésiliens
mais la population du Brésil étant en grande partie analphabète ( 60%)
c’est surtout par l’oralité que se transmet cette partie du folklore.
Les mitos au Brésil ne correspondent pas à
ce que l’on appelle des mythes en français. Les mitos sont plutôt
des personnages qui, pour bien des brésiliens, existent réellement.
Les lendas sont les histoires que l’on raconte au sujet de ces
personnages. Ainsi, je vous parlerai tout d’abord des mitos et de leurs lendas, ensuite je présenterai brièvement l’univers des contes brésiliens.
Je soulignerai l’importance de Monteiro Lobato dans le domaine de la
littérature enfantine. Je parlerai finalement de la tradition orale
du Nordeste, le joyau de la littérature orale du Brésil.
Le peuple brésilien a construit son identité en puisant des éléments dans
chacune de ses 3 grandes cultures d’origine : les Portugais, les
autochtones (surtout les Tupi vivant sur le littoral Atlantique) et
les esclaves noirs arrivés d’Afrique. Les traces de traditions africaines
sont bien claires lorsque nous regardons les religions brésiliennes
comme l’umbanda et le candomblê. Or,
lorsque l’on s’attarde aux mitos brésiliens
ce sont surtout les croyances indigènes qui sont les sources
d’origine principales. En effet, la géographie et la végétation du territoire
étaient mystérieuses pour les Portugais arrivés sur les côtes, cela
a mené à l’assimilation des croyances autochtones au sujet de nombreux
personnages peuplant les forêts brésiliennes. Les mitos des indigènes
sont des croyances souvent basé sur des phénomènes inexpliqués et des
superstitions. Presque tous les mitos ont un lien avec la chasse
et la forêt. Les Portugais étant
déjà un peuple superstitieux ils ont adopté ces croyances dès le début de la colonie.
Ainsi, si l’on entend des sifflements dans la
forêt ou bien si la chasse est
mauvaise les brésiliens s’expliquent ce phénomène en racontant que la
Caipora est dans les parages. La Caipora est une femme nue au
corps de fillette (parfois vêtue de ses longs cheveux) se promenant
assise sur un sanglier, elle protège les animaux et parfois les ressuscite
mais si les chasseurs lui laissent des offrandes, souvent du tabac,
elle peut leurs porter chance. Les chasseurs évitent de chasser le vendredi,
jour privilégié de la Caipora .Un autre mito est le Saci-Pererê,
c’est un petit bonhomme noir a une seule
jambe qui fume le cachimbo
et porte un bonnet rouge qui lui donne le pouvoir d’apparaître et de
disparaître. Le Saci-Pererê est très malin et fait souvent des mauvais
coups: il fait peur aux animaux dans les pâturages, il désoriente les
voyageurs dans la forêt, il fait des nœuds dans la queue des chevaux,
il dévisse les salières etc. Bien des Brésiliens connaissent aussi le
Curupira,
c'est un indigène aux dents vertes qui a les pieds à l’envers (il laisse
d’ailleurs des empreintes comme s’il marchait à reculons). Il est le
gardien des arbres, ceux qui détruisent la forêt subissent la colère
du Curupira. Malgré que les mitos
d’origine indigène règnent surtout sur la forêt certains mitos persistent même dans les régions urbaines. Dans les grandes
villes comme São Paulo, les enfants nées de père inconnu disent
être les enfants du Boto cor-de-rosa (le dauphin couleur
de rose). Le dauphin rose vit dans les rivières de l’Amazonie, l’on
raconte que lors des fêtes il se transforme en un homme très beau, sort
de l’eau et se rend dans les fêtes pour danser jusqu’à l’aube. Il séduit
une femme et disparaît au lever du soleil la laissant
enceinte d’un enfant de père inconnu.
Un
dernier mito d’origine indigène
est le Boitata, c’est un long serpent de feu, il sort surtout
la nuit et se nourrit de carcasses d’animaux. Il poursuit parfois les
gens qui sortent la nuit, l’on
voit alors des grandes traîner de feu dans la forêt qui se répande rapidement.
Il est intéressant de voir qu’il y a aussi
quelques mythes européens amenés par les Portugais qui ont persisté,
par exemple le loup-garou (Lobishomen au Brésil), que nous connaissons
aussi au Québec ou encore la Mula sem-cabeça. L’on dit que si un curé a une maîtresse,
celle-ci est punie par Dieu en se transformant la nuit en mule sans
tête qui court en tout sens durant toute la nuit. Les Portugais ont
aussi amenés les mythes des sirènes mais au Brésil les sirènes ne vivent
pas seulement au large de l’océan mais aussi dans les rivières à l’intérieur
des terres. C’est lorsque nous nous attardons aux
contes brésiliens que
l’on peut clairement établir une influence majoritaire de la culture
portugaise. Un anthropologue brésilien Luis da Câmara Cascudo a
passé 50 ans de sa vie à fouiller le monde fabuleux des contes brésiliens.
Il a retranscrit un nombre impressionnant de contes. Les contes du Brésil
sont très diversifiés mais ceux qui sont les plus populaires sont ceux
originaires d’Europe car ce sont des contes racontant des histoires
universelles. Il y a donc une version brésilienne du petit chaperon
rouge, de la belle et la bête, du petit poucet etc. …Dans les contes
brésiliens, comme dans presque tous les contes, le bien triomphe toujours.
Les contes traitent souvent de métamorphose, d’enchantement, de lutte
contre le diable.
Il n’est pas possible de parler des contes
brésiliens sans mentionner le nom de Monteiro Lobato. Née à Taubato
(São Paulo) en 1882 Monteiro Lobato a écrit quelques romans révolutionnaires
empreints d’une audacieuse critique sociale. Ces romans étaient menaçants
pour l’ordre de la République et Lobato fut emprisonné durant quelques
années. À sa sortie de prison, Lobato décida d’écrire pour un public
capable d’une grande ouverture d’esprit et qui portait en eux tous les
espoirs de la nation: les enfants. Lobato a écrit des centaines de contes
pour enfants débordants d’imagination et porteurs de valeurs très progressives.
En plus de ses propres histoires, Lobato a popularisé plusieurs mythes
brésiliens en intégrant des personnages du folklore dans ses histoires.
Au cours d’un voyage en Europe, Lobato rencontra le célèbre écrivain danois
Hans Christian Anderson. À son retour au pays, il décida de faire connaître
aux petits brésiliens les merveilleux contes d’Anderson. L’œuvre
la plus magistrale de Lobato est sans doute le Picapau
Amarelo. L’auteur a créé un pays qu’il nomme le pays du pic bois
jaune, dans ce pays vivent tous les personnages de tous les contes (Cendrillon,
Pinocchio et même les mythes indigènes comme le Boitata et la Saci-pererê). Les histoires du Picapau
amarelo sont si populaire qu’on l’on en a fait une série télévisée
qui a bercé l’enfance de 3 générations de petits brésiliens. Finalement, la région du Brésil où la littérature orale est au cœur du
quotidien est le Nordeste. Il existe dans cette région des joutes orales
appelées Cantorias. Ce sont des
concours de poésie improvisés suivant des contraintes précises et conditionnée
par un échange entre le cantador
et le public. Ces joutes ont lieu dans des bars, des fermes ou dans
les marchés. L’on dit que les cantadores
reçoivent le don de conteur à la naissance et que dès l'enfance l’on
sait qui deviendra un bon conteur. Les histoires des meilleurs cantadores
sont publiées dans des livrets appelés folheta de Cordel. Il s’agit de petits
livres reliés avec une ficelle qui se vendent partout dans le Nordeste.
Ces livres contiennent des petites histoires que les gens lisent souvent
à hautes de voix en petit groupe. Ces livres sont seulement un médium
de transports pour ces histoires car le papier étant souvent un luxe
au Brésil, les livrets sont immédiatement réutilisés (souvent comme
papier de toilette!) après la lecture. C’est ainsi que les histoires
de Cordel sont mémorisés et passent de bouche à oreille chaque fois modifiés
par l’imagination du conteur ou par les trous de mémoire. L’histoire
de Cordel est un genre bien
particulier, les sujets sont assez restreints et les mêmes personnages
reviennent souvent d’une histoire à l’autre. Les personnages sont tirés
du quotidien de la vie du Nordeste, l’on retrouve souvent le vaqueiro
et ses histoires d'amour avec
la fille du propriétaire, les sans terres, le curé du village etc. ...
Les personnages portent la plupart du temps des noms banals: Zé, Manoel,
Joao, Maria pour rapprocher le lecteur du récit. Ces histoires racontent
souvent une ascension sociale fulgurante du vaqueiro avec une finale où l’harmonie familiale est
rétablit. L’on retrouve fréquemment le personnage du Cangaceiro, c’est un bandit (souvent un noir ou un métis), il est
parfois un justicier vengeur à la robin des bois mais il arrive aussi
qu’il soit un psychopathe sanguinaire. Ces cangaceiros
sont très largement inspirés de personnages réels, le Nordeste regorge
de tellement d’histoires de bandits que l’on ne sait plus qui a réellement
existé et qui n'est qu’une légende. L’un des plus célèbres cangaceiro est Lampião.
Né d’une union consanguine, Lampião
est une brute abominable qui détruit tout sur son passage, il viole,
brûle et tue, il sème la terreur partout où il va. Les folhetas contiennent aussi des histoires traitant des mitos indigènes, le personnage de la caipora revient très souvent. L’on relate
que des voyageurs ont eut des apparitions ou bien qu’ils ont trouvés
des royaumes engloutis. L’on ne peut négliger aussi l’importance
des saints dans la littérature de Cordel. Nombre d'histoires racontent la vie exemplaire d’un héros
du quotidien qui devient un saint. Il y aussi beaucoup d’histoires de
prêtres missionnaires qui font des miracles ou déjouent le diable. La littérature de Cordel est
un miroir des valeurs sociales du Nordeste: la religion omniprésente,
la fierté, la famille, l’honneur et la vengeance. Ces livrets sont tellement
ancrés dans le quotidien des gens que les noms s’adaptent à l’actualité,
c'est ainsi que parfois le diable porte le nom de Saddam Hussein, ennemi
de la chrétienté et les riches propriétaires sont appelés des capitalistes!
Ces livrets illustrent très bien les stéréotypes sociaux de la culture
brésilienne. En effet, même si les Brésiliens sont issus d’un peuple
très métissé il subsiste beaucoup de préjugés raciaux. Ainsi, dans les
histoires de Cordel les noirs sont toujours travaillants, soumis et possèdent une grande force
physique. Souvent si un personnage est très laid, méchants et a une
sexualité effrénée il sera nommé l’Africain et aura la peau très foncée.
Dans les folhetas, les femmes
noires sont bavardes et superstitieuses. Les mulâtresses son toujours
sensuelles, voluptueuses et attirées par le luxe. Les indiens sont fiers
et libres, ils préfèrent mourir que de s’asservir et perdre leurs traditions.
Le plus beau rôle est toujours tenu par le métis qui est habile, astucieux
et courageux. La majorité de la population du Nordeste est métis et
le racisme est un phénomène bien réel. En outre, les préjugés plus positifs
(l’image embellie de l’autochtone, la sensualité des mulâtresses etc.)
n’a pas de correspondance réelle dans l’intégration
quotidienne de ces groupes raciaux. En conclusion, la tradition orale du Brésil est immensément riche et sa
diversité représente bien ce peuple bigarré. L’on peut retracer les
origines des trois grandes branches
d’origine africaine, indigène et portugaise que ce soit dans
les mitos, les lendas ou dans
les contes. Et finalement les valeurs sociales et l’imaginaire collectif
sont magnifiquement illustrés dans l’oralité brésilienne. Bibliographie BASTIDE Roger, Poètes et dieux, études afro-brésilienne, Ed.L’harmattan. 2002 BERND Zilà, MIGOZZI Jacques, Frontières du littéraires, littérature orale et populaire Brésil/France, Coll. Pulim, Limoge 1994 CAVIGNAC
Julie, Littérature de colportage au Nord-est du Brésil,de l’histoire écrite à
l’histoire orale, DA
CAMÂRA CASCUDO Luis, Contos tradicionais do Brasil, Ed. Americ, Rio de janeiro,1946 REICHEIL-DOLMATOFF
Gerardo, Yurupari
studies of amazonian foundation www.sitiodopicapauamarelo-globo.com www.suapesquisa.com/folclorebrasileiro/ |