MANIFESTE DE L'ASSOCIATION PORTUGAISE
DE REALISATEURS -A.P.R.
Le
Gouvernement Portugais s'apprête à faire voter au milieu
du mois d'Avril une nouvelle Loi du Cinéma, intitulée Loi
des Arts Cinématographiques (pourquoi le pluriel?) et Audiovisuels.
L'Institut du Cinéma, ICAM, (équivalent portugais du C.N.C)
disparaît de la loi. Par contre est créé un "Fonds
pour l'Investissement et le Développement des Arts Cinématographiques
et de l'Audiovisuel" à travers lequel le Gouvernement menace
de convertir le peu d'argent disponible pour la production du cinéma
portugais en capital pour un commerce louche avec les distributeurs et
exploitants américains et les chaînes privées de télévision,
un "Fonds" destiné à financer des projets supposée
attirer le public afin de générer des bénéfices.
De telles manoeuvres arrivent au moment où le cinéma portugais,
après avoir renforcé son identité et ses modes de
production, a vu apparaître de jeunes auteurs et a permis le travail
de cinéastes confirmés dont l'oeuvre est reconnue tant au
niveau national qu'international.
Ainsi, alors que tous les indicateurs démontrent une consolidation
de la cinématographie portugaise autour d'une production importante
et diversifiée, le Gouvernement Portugais prétend maintenant,
par un numéro d'illusionniste, ruiner les fonds de la culture au
profit d'un commerce douteux, étranglant la production, produisant
moins de films mais au budget beaucoup plus élevé, excluant
du système des dizaines de créateurs, au nom d'un mirifique
"cinéma commercial" qui, au Portugal, n'est parvenu qu'à
engendrer des échecs financiers et des naufrages culturels.
Aucun raisonnement économique ne peut étayer la légitimité
de ce cinéma "cher et commercial": et le Gouvernement
- dans une irresponsable navigation à la dérive - ne s'appuie
pour légitimer ce choix sur aucune étude prospective.
En vérité, plus il est investi d'argent dans un film portugais
plus grand est le préjudice qu'il provoque; tandis que, au contraire,
il a été démontrée la bien meilleure "performance
commerciale" de films beaucoup moins coûteux, beaucoup plus
libres et originaux, films qui, eux, circulent dans le monde entier, mobilisant
des spectateurs de générations différentes et de
cultures diverses.
Pour le cinéma - comme pour tous les arts et toute la culture –
nous exigeons donc un Ministère de la Culture, avec une politique
culturelle et artistique effective, et non un Ministère du Commerce.
Nous n'acceptons pas les politiques commerciales et industrielles au sein
du Ministère de la Culture (contraires aux accords internationaux
du commerce et aux directives communautaires sur le statut de l'exception
culturelle) mais nous voulons de véritables politiques qui protègent
et défendent le cinéma portugais dans un marché abandonné
aux intérêts de l'industrie américaine.
Nous exigeons que l'argent du cinéma soit pour le cinéma,
qu'il soit attribué à travers des concours publics avec
des règles et des critères transparents qui assurent la
liberté et l'indépendance de la création. Nous voulons
que cela soit fait au nom de la souveraineté culturelle du pays
et au nom des liens qui unissent le cinéma à tous les autres
arts, et aussi au nom de la préservation de l'identité culturelle
de chaque pays.
Nous exigeons du Ministère de la Culture un Institut du Cinéma,
avec des recettes propres et une autonomie administrative et financière
et nous voulons aussi une séparation claire entre l'art du cinéma
et les intérêts de l'audiovisuel, qui, eux, relèvent
exclusivement des cahiers des charges des télévisions et
doivent être absolument séparés des fonds qui soutiennent
le cinéma.
Nous ne pouvons admettre que le cinéma portugais soit soumis aux
intérêts des télévisions privées et
publiques ni que le Gouvernement se serve du statut culturel du cinéma
pour financer en douce - à travers le dit "Fonds d'Investissement"
- les déficits des télévisions et leur incapacité
chronique à soutenir la production. Nous exigeons que la loi respecte
les principes énoncés en son préambule: plus de films,
plus de diversité, possibilité pour plus de cinéastes
- de toutes les générations- de filmer. Et nous voulons
surtout que l'État en revienne à son rôle de garant
de la liberté et de la défense intransigeante des créateurs
et de leurs oeuvres, sans les prétentions populistes qui, depuis
longtemps, ont fait main basse sur l'imaginaire des Portugais au profit
des intérêts de l'industrie du cinéma américain
et des sous-produits de la télévision brésilienne.
Sacrifier une cinématographie à de tels desseins est un
crime à l'encontre de la démocratie et de la liberté
de tous. Et tout indique que ce ne pourrait être que le début
d'un processus mettant fin à la souveraineté culturelle
portugaise, une mort annoncée de son indépendance et de
son originalité au nom d'une politique culturelle menée
en faveur d'une "littérature" de best-sellers, d'une
"peinture" et "sculpture" décorative, d'un
"théâtre" de boulevard, d'une musique de super-marché,
le retour enfin au cauchemar d'une sous-culture rétrograde, obéissant
aux caprices du marché et aux intérêts des messieurs
qui croient le diriger.
Lisbonne, le 26 Mars 2004
A.P.R.
Associação Portuguesa de Realizadores.
L' A.P.R., la plus importante association de réalisateurs au Portugal,
réunit 56 réalisateurs de longs et courts-métrages
de fiction, documentaire et animation:
Sandro Aguilar, Manuel João Aguas, Luis Alvarães, Catarina
Alves Costa, Luis Alves de Matos, Nuno Amorim, Jorge António, Leonor
Areal, Rita Azevedo Gomes, Carlos Braga, Daniel Blaufuks, Margarida Cardoso,
José Pedro Cavalheiro, João Botelho, João Canijo,
José Filipe Costa, Pedro Caldas, Eduardo Condorcet, Pedro Costa,
António Escudeiro, Edgar Feldman, Luciana Fina, Luis Fonseca, Raquel
Freire, Teresa Garcia, João Mário Grilo, Margarida Gil,
Miguel Gomes, Pierre-Marie Goulet, Regina Guimarães, António
Loja Neves, Fernando Lopes, Fernando Matos Silva, João Matos Silva,
Inês de Medeiros, Madalena Miranda, José Álvaro Morais,
Catarina Mourão, Manuel Mozos, José Nascimento, Solveig
Nordlund, Joaquim Pinto, João Ribeiro, Paulo Rocha, João
Pedro Rodrigues, Monique Rutler, Saguenail, Renata Sancho, Alberto Seixas
Santos, Pedro Sena Nunes, Jorge Silva Melo, Serge Tréfaut, Fernando
Vendrell, Francisco Villa-Lobos, Teresa Villaverde, Jeanne Waltz.
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