Et ça d’antan à aujourd’hui!
par

Marta Gomes


José Maria Eça de Queirós (1845-1900) est le grand écrivain réaliste portugais qui s’est battu en utilisant les mots pour défendre l’état de son pays: le grand Portugal. Le style qui a révolutionné la littérature portugaise lui valu et lui vaut encore, beaucoup de respect de la part du peuple portugais. À l’époque, ses écrits ont semé une telle controverse qu’il était maintes fois la cible d’attaques publiques. Pourtant, ses mots sont le reflet de la société portugaise de l’époque qui, tout comme aujourd’hui, vit avec un système politique misérable. En effet, la plupart de ses écrits ont su résister au fil du temps puisqu’ils pourraient s’insérer dans un des plus populaires quotidiens portugais d’aujourd’hui et presque personne ne s’en rendrait compte. L’affirmation est assez simple à démontrer en se servant de As Farpas, une publication mensuelle de chroniques d’Eça de Queirós et de Ramalho Ortigão faite à partir de 1871, qui illustrent clairement leur volonté d’analyser la société portugaise et d’en faire la critique. Les écrits d’Eça, réunis en deux volumes intitulés Uma Campanha Alegre, en font partie en 1890. Cet article a pour but de mettre en évidence à quel point ses écrits, même si vieux de plus d’un siècle, demeurent actuels. Peu de choses ont changé dans les institutions et la politique au Portugal: d’abord, par rapport à l’émigration et par la suite, relativement à la politique.

Du point de vue de l’émigration, les Portugais ont commencé à vouloir trouver une meilleure vie hors de leur pays dès le XVème siècle. Malgré un changement dans les destinations pour lesquelles optent les portugais, ils veulent tous chercher plus loin le pain que la patrie ne donne pas (op.cit., 284, notre traduction). Les conditions dégradantes dans lesquelles se trouve le pays expliquent le départ progressif du Portugais, dans l’espace de dix ans, dans les années 60/70, par exemple, plus d’un million de portugais immigrent en France. Les mots d’Eça de Queirós en 1890 expliquent parfaitement bien la situation d’antan qui est aussi vraie aujourd’hui:

Il est étrange qu’il y ait qui trouve étrange l’émigration. Nous sommes dans un état uniquement comparable à la Grèce: même pauvreté, même indignité politique, même embrouillement économique, même affaiblissement de personnalités, même décadence d’esprit. Dans les livres étrangers, les revues, lorsqu’ils veulent parler d’un pays chaotique dont la décadence progressive pourrait entraîner sa rature de la carte européenne, sont cités, en paire, la Grèce et le Portugal. (op.cit., 282-283, n
otre traduction)

En effet, cette citation est valable tant pour la Grèce comme pour le Portugal, d’aujourd’hui, puisque ce dernier continue de s’enfoncer dans la disgrâce. Nous ne pouvons plus parler de raturer le pays de l’Europe aussi aisément, mais les difficultés auxquelles le peuple est confronté demeurent bien réelles. Malgré que de nos jours les portugais quittent leur pays temporairement dans le but d’étudier ou d’investir ailleurs, il reste que certains l’abandonnent complètement parce qu’ils n’ont aucune espérance en son amélioration. Encore pire, ceux qui régressent au Portugal après des années d’absence n’ont souvent rien de plus à offrir au pays: ils se sont remplis les poches ailleurs, ont eu des emplois qu’ils n’auraient jamais accepté d’occuper dans leur pays natal, mais s’installent confortablement dans leurs châteaux, toujours plus grands que celui du voisin, construits avec l’argent d’ailleurs, en attendant leur fin. Selon moi, la majorité des portugais fuiront toujours leur pays avant de tenter d’y rester et de changer les choses. Ils veulent vivre leur vie simplement, sans être dérangés comme ils le sont par le mauvais état de leurs conditions au Portugal. Ils sont conscients des problèmes du pays, ils en parlent entre eux, dans les cafés, mais ne s’impliquent que très rarement pour le faire évoluer.

Du point de vue politique, les choses demeurent aussi, et malheureusement, les mêmes. Paie et prie. Paie pour avoir des ministres qui ne gouvernent pas, des députés qui ne légifèrent pas, des soldats qui ne défendent pas, des prêtres qui prient contre lui. Paie ceux qui l’abîment et ceux qui sont ses parasites. Paie ceux qui l’assassinent et ceux qui le trahirent. Paie ses rois et ses geôliers. Paie tout, paie pour tout. (op.cit., 23,
notre traduction). En effet, le peuple est encore le seul à éprouver les maux du pays et à en subir les conséquences. Le Portugal a toujours témoigné d’un grand manque d’organisation et de cohérence: les institutions vont en rampant seulement pour continuer d’exister et le peuple est seul devant toute cette confusion. Cette réalité se reflète aussi sur le peuple portugais qui a la mentalité du «laisser aller», en croyant fermement que les choses finiront par s’améliorer: Don Sebastião viendra un jour les sauver. Dans As Farpas, l’écrivain se sert de l’humour, comme dans la majorité des cas, pour dévoiler la façon de fonctionner des dirigeants du pays et le scénario s’insère parfaitement dans l’actualité portugaise.

Lentement se forme la liste majoritaire à Lisbonne. Les prétendants sont nombreux. Les amis intimes s’agitent autours du ministre, comme une bande de moineaux autours d’un sac d’épines. L’un a un cousin qui s’est marié, l’autre connaît un journaliste talentueux et à la langue souple, un autre veut un beau-frère, un autre désire un homme a qui il doit quelques centaines de milliers de reis, mais dispense la candidature de ce voleur, si le ministre fait de ce voleur récepteur de district… Ensuite les candidats changent comme les figures d’un jeu d’échecs. À celui à qui avait été promis le circuit D, on donne le gouvernement civil de B – comme indemnisation. On retire la candidature de C parce qu’on découvre que C a pris le thé avec le chef de l’opposition et on la donne à E puisque c’est celui qui a dénoncé C, etc. (op.cit., 65-66, n
otre traduction)

Eça a mis au jour cette réalité qui subsiste depuis plus d’un siècle. En effet, comment peut-on résoudre les problèmes du pays si les idées tournent toujours autours des mêmes têtes qui s’alternent le pouvoir, perdent le pouvoir, reconquissent le pouvoir, s’échangent le pouvoir…?(op.cit., 65-66, notre traduction) . Il faut, comme Eça le voulait à l’époque, que le portugais s’investisse d’avantage dans la préservation de son histoire, dans la création sociale, même que ce ne soit que par un simple geste, afin de créer un impact positif sur la situation dégradante dans laquelle se trouve le pays. D’ailleurs, un gouvernement devrait avoir pour but de bien faire les choses, les gouvernements portugais qui nous sont présentés, eux, paraissent plutôt avoir la volonté de faire des erreurs. Erreurs qui peuvent être insignifiantes pour une certaine époque, mais qui peuvent être majeures pour une autre. La question la plus importante est à savoir s’il existe vraiment, au Portugal, un gouvernement encore capable d’affronter directement toutes ces vérités.

Pour conclure, il est triste de constater que les publications écrites par Eça de Queirós vers la fin du XIXème siècle demeurent une réalité pour le peuple portugais. Le mouvement d’idées, l’espèce d’explosion culturelle à laquelle ce dernier faisait face, est quasi identique à ce qui se passe au pays en ce moment. Même Jorge Sampaio, l’actuel président du Portugal, a interrompu ses vacances pour lui prêter hommage 100 ans après sa mort. Selon lui, Eça est un des écrivains les plus vivants, les plus présents et les plus actuels. Eça de Queirós, avec son intelligence et ironie, fut le premier à mettre à nu ce qui se cachait derrière certaines grandes conventions politiques, sociales et culturelles.

Eça a eu le courage de démontrer la vulnérabilité de son pays et ses écrits perdurent parce que les gens auront toujours la nécessité de rencontrer la vérité. Son analyse corrosive et souvent violente de la vie portugaise, se révélait être le revers d’un amour intense pour son pays. Un amour si intense qu’il continue ses écrits malgré les critiques de l’époque. Encore aujourd’hui, le gouvernement veut taire quiconque désire dévoiler au peuple portugais la déplorable réalité dans laquelle ils vivent. Ce fut le cas de Marcelo Rebelo de Sousa lorsqu’il fut interdit de dire la vérité à la télévision pour des raisons qu’il ne connaît toujours pas. Cependant, il est bon de constater que certaines situations se sont tout de même améliorées. Prenons comme exemple le taux d’analphabètes qui est passé de 88% à moins de 9%, la mortalité infantile qui était, au XIXème siècle, autour de 150 morts par 1000 naissances, se retrouve aujourd’hui à 4. Certes, en dépit des périodes de décadence, des crises et des dépressions caractérisées par Queirós, il reste que le Portugal est un pays à la vie dure. Finalement, la véracité actuelle de ses écrits devient encore plus marquante lorsqu’on sait qu’un de ses romans les plus scandaleux, O Crime do Padre Amaro, a inspiré au réalisateur mexicain, Carlos Carrera, la production d’un film intitulé El Crimen del Padre Amaro qui ne créa pas moins de controverses en 2002, lors de sa sortie au Mexique, que le livre en 1876.

Bibliographie

ARAÚJO
, Filipe (2000), A Sátira Colorida. http://www.secrel.com.br/jpoesia/equeiroz.html#felipe [en ligne]. Page consultée le 15 novembre 2004.

BELLO, José Maria (1945). Retrato de Eça de Queirós. Rio de Janeiro: Agir.

BESSA, Daniela e Marta MARTINS (2002), Os Maias. http://danielaemarta.no.sapo.pt [en ligne]. Page consultée le 9 novembre 2004.

CORTANZE, Gérard. "Une farce au vitriol". Le Figaro [En ligne]. (17 décembre 1998). In Instituto Camões . http://www.instituto-camoes.pt/escritores/eca/farcevitriol.htm (Page consultée le 23 décembre 2004).

INSTITUTO CAMÕES (1998), Imprensa portuguesa.http://www.instituto-camoes.pt/escritores/eca/ecasampaiohome.htm [en ligne]. Page consultée le 10 octobre 2004.

INSTITUTO CAMÕES (1998), Eça de Queirós. http://www.instituto-camoes.pt/escritores/eca.htm [en ligne]. Page consultée le 25 septembre 2004.

KÉCHICHION, Patrick. "Eça de Queiroz l'acide". Le Monde [En ligne]. (25 décembre 1998). In Instituto Camões. http://www.instituto-camoes.pt/escritores/eca/queirozacide.htm (Page consultée le 23 décembre 2004).

NEVES , João César das (2004), "O Caldo da Portaria". Diário de Notícias [en ligne] http://dn.sapo.pt/2004/12/13/opiniao/o_caldo_portaria.html. Page consultée le 13 décembre 2004.

SIMÕES, João Gaspar (1981). Eça de Queirós. A Obra e o Homem. Lisboa : Arcádia, 4 éd.