Lorsque l’on visite le Portugal, nombreux sont les lieux
où l’on peut contempler des azulejos. À Porto,
les panneaux muraux de la gare São Bento nous font découvrir
des pans de l'histoire portugaise. À Lisbonne, le Palais
des Marquis de Fronteira ainsi que le
Musée national de l’Azulejo sont de véritables
sanctuaires pour les amateurs de cet art.
En octobre dernier, nous avons eu la chance d’assister à
une conférence donnée à l’Université
de Montréal par Alexandre
Nobre Pais, conservateur au Musée
national de l’Azulejo.
Sa présentation nous a permis de mieux comprendre l’évolution
de cet art au Portugal du XVe siècle à aujourd’hui.
Par cet article, nous souhaitons vous présenter l’art
des azulejos et tracer les grandes lignes de son évolution
à travers les siècles. Au fil de ce parcours historique,
nous verrons quelles sont les influences qui ont amené
des changements stylistiques. Nous aborderons aussi les différents
rôles des azulejos. Enfin, nous verrons brièvement
quelle est la place des azulejos dans le Portugal contemporain.
Les azulejos sont des carreaux de faïence, peints et vernis,
assemblés pour former une œuvre abstraite ou figurative.
Le terme azulejo ne signifie pas bleu comme
on pourrait facilement le penser (azul en portugais).
En fait, le mot azulejo provient plutôt du mot arabe al
zulaydj
qui signifie pierre polie.
Importé par les Maures lors de leur occupation au XVe siècle,
l’art des azulejos s’est développé dans
toute la péninsule Ibérique et après au Mexique
et dans les anciennes colonies portugaises.
Les premiers azulejos du
patrimoine portugais datent de la période hispano-mauresque
du XVe siècle. Ils servent à composer des panneaux
que l'on retrouve à l'intérieur de bâtiments.
Ces azulejos
sont composés de motifs géométriques symétriques
plus ou moins complexes qui peuvent se répéter à
l’infini. Dans la culture islamique, ces géométries,
que l’on retrouvait entre autres sur les motifs des tapis,
symbolisaient la vastitude des étoiles dans le ciel. Jusqu’au
XVIe siècle, les portugais utilisent des techniques archaïques
telles que l’alicato (technique de découpage
géométrique des pièces après la cuisson),
la corde sèche (moule en argile) et l’arête
(moule en argile qui permet d’utiliser plusieurs couleurs).
À cette époque, Séville est le grand centre
producteur et Dom Manuel Ier y commande des azulejos. Peu à
peu, les motifs au rôle décoratif vont évoluer
avec l’influence des thèmes végétaux
et animaliers européens.
Les apports figuratifs et
narratifs des flamands
Au XVIe siècle, on assiste à une influence italienne
sur la céramique flamande. C’est l'avènement
de la technique de la majolique, qui consiste à peindre
directement sur les carreaux. Des céramistes flamands s’installent
au Portugal et ils apportent une dimension figurative et narrative
à l'art de l’azulejo dont la diversification va se
concrétiser au XVIIe siècle. En effet, le XVIIe
siècle est caractérisé par une grande diversité
figurative et un mélange des genres. Les sources d’inspiration
sont très variées, des « grotesques »
(motifs profanes de la Rome Antique) aux thèmes religieux,
en passant par des motifs inspirés de tissus importés
des Indes… Il en résulte des scènes figuratives
de tous genres : religieuses, de chasse, de guerre, mythologiques
et satiriques. Les artisans n'ont pas de formation académique
mais ils utilisent leur bon sens pour s’adapter aux goûts
des différents mécènes. Ils réalisent
de petits panneaux religieux pour l’Église et des
scènes profanes pour les nobles. C’est à cette
époque qu’est réalisée la décoration
du
Palais Fronteira (1670). On y retrouve entre autres des scènes
satiriques, les Singeries qui portent un regard ironique sur le
genre humain.
Les
caractéristiques typiques des créateurs portugais:
l'astuce, le sens d'improvisation et les échanges avec
d'autres cultures
Puisqu’ils se basent
souvent sur des images comme modèle, les artisans portugais
se retrouvent face à un problème technique : le
changement d’échelle. Ils trouvent alors toutes sortes
d’astuces pour contourner les obstacles. Par exemple, dans
La chasse aux léopards, l'artisan a élargi la scène
par rapport à la gravure qui lui servait de modèle.
Ne sachant pas comment dessiner les pattes du léopard au
premier plan, il a intégré un buisson pour se simplifier
la vie. Le recours à toutes sortes d’astuces signale
définitivement un sens pratique efficace propre à
la culture portugaise. Les artisans acceptent souvent l’imperfection.
À mon sens, les azulejos du XVIIe siècle sont particulièrement
émouvants parce qu’ils présentent des caractéristiques
typiquement portugaises. Leur création est inspirée
d’images exotiques, ce qui illustre aussi les échanges
que fait le Portugal avec d’autres cultures.
La phase bleue et l'influence
hollandaise
À la fin du XVIIe
siècle, les portugais commandent des céramiques
hollandaises exécutées par des peintres qualifiés
qui ont une très grande maîtrise technique et qui
travaillent avec la couleur bleue, en référence
à la peinture chinoise. Ce style très raffiné
plaît aux portugais. Le bleu va dominer dans les réalisations
de cette époque mais il faut noter que sur cinq siècles
de création d’azulejos au Portugal, on retrouve seulement
70 ans d’azulejos exclusivement bleus et blancs.
L'âge d'or et le désir
d'académisme
Suite à l'influence
hollandaise, les ateliers nationaux engagent des peintres de formation
académique plutôt que des artisans. Ce désir
d’académisme rompt avec l’imperfection que
nous évoquions plus haut et annonce l’âge d’or
des azulejos du XVIIIe, désormais signés par des
maîtres tels que Manuel dos Santos et António Pereira.
Sous Dom João V, on réalise d’immenses panneaux
narratifs qui mettent souvent en scène la vie quotidienne
des nobles. Des figures humaines grandeur nature invitent à
entrer dans les palais qui sont souvent décorés
par des albarradas, de grands vases de fleurs. C’est
aussi la grande époque des trompe-l’œil, qui
créent des jeux intéressants avec l’architecture
des palais.
Les azulejos dans la reconstruction
de Lisbonne apr1es le Tremblement de terre
En 1755, Lisbonne est détruite
par un tremblement de terre. Il nous reste aujourd’hui un
magnifique panneau qui témoigne de l’architecture
de la cité avant la tragédie. Beaucoup de petits
carreaux de céramique ont résisté au cataclysme
et sous la supervision du Marquis de Pombal qui est le grand responsable
de la reconstruction de la ville, on récupère d’anciens
azulejos-types (à partir du XVIIe siècle, on produit
des azulejos en série qui coûtent moins cher) afin
d'embellir les façades reconstruites. Les gens placent
aussi de petits panneaux de dévotion sur les édifices,
les registos, qui ont des vertus de protection contre
les grandes catastrophes. La ville devient ainsi un espace religieux
qui détourne l’azulejo vers l’extérieur.
L'azulejo et l'ascension
sociale des nouveaux bourgeois
Au XIXe siècle, la société est en plein changement.
Ce sont maintenant de nouveaux bourgeois issus du commerce et
de l’industrie qui commandent des panneaux représentant
leur ascension sociale. À Sintra, en 1839, le prince Ferdinand,
d’origine prussienne, fait construire le Palais de Pena,
qui sera achevé en 1885. Ce palais exubérant mélange
les styles architecturaux et on intègre des azulejos à
sa façade.
Dans les années 1950, les azulejos se démocratisent
et s’emparent des façades portugaises. Les carreaux
sont fabriqués de façon semi-industrielle et industrielle
à Lisbonne, à Porto et à Gaia. On peut observer
des différences de style entre le nord et le sud du Portugal.
Par exemple, on utilise souvent des reliefs sur les façades
du nord alors que celles du sud sont réalisées avec
des azulejos plus traditionnels.
L'art de l'azulejo au XXe siècle: un symbole d'identité
nationale
Au début du XXe siècle, on remarque une réémergence
des compositions d’auteurs. C’est le cas du peintre
romantique Jorge Colaço (1868-1942) qui conçoit
des panneaux ensuite produits dans des fabriques de Lisbonne.
Le développement urbain et notamment la construction du
métro à Lisbonne intègrent l’art de
l’azulejo. Dans le métro de Lisbonne, on retrouve
des créations très diversifiées, réalisées
principalement par des artistes portugais qui collaborent avec
des architectes (1965 : Maria Keil, 1985 : Maria Helena Vieira
da Silva) mais aussi par des artistes d’ailleurs (Zao-Wo-Ki,
Sean Scully). Enfin, lors l’Exposition universelle de 1998,
plusieurs artistes sont invités à utiliser l’art
de l’azulejo de façon innovatrice.
Plus qu’un art utilitaire ou ornemental, l'art de l’azulejo
apparait finalement comme un art à part entière
au Portugal.
Conclusion
Depuis le XVe siècle,
les portugais n’ont jamais cessé de produire des
azulejos. Visibles à l’extérieur comme à
l’intérieur des bâtiments, les azulejos sont
un des symboles de l’identité nationale. En observant
les grandes lignes de leur histoire et de leur évolution,
on fait un véritable voyage dans l’histoire et la
culture portugaises. Nous avons découvert à quel
point cette forme d’expression est révélatrice
de la sensibilité des portugais. En effet, comme nous l'avons
souligné plus tôt, nous étions émus
par le côté pragmatique et expéditif des artisans
portugais du XVIIe siècle. Ces artisans sont décalés
dans un siècle où l’on valorise la perfection
technique dans les arts. À notre avis, c’est ce décalage
qui fait toute la richesse du Portugal. Les Portugais ont osé
s’inspirer de toutes sortes de cultures pour leurs créations
et je pense que si l'art des azulejos n'a jamais connu de fin,
c'est parce qu'il n'a jamais été enfermé
dans un carcan trop rigide. En ce sens, les lacunes techniques
ont permis aux portugais de conserver une grande ouverture d’esprit.
Cette forme d’art spécifiquement portugaise dévoile
aussi une sensibilité face à la matière car
les azulejos sont vivement colorés et ils ont aussi la
propriété de refléter la lumière.
En ce sens, ils attirent aussi les touristes qui, comme nous,
sont fascinés par tout cet éclat!
SOURCES :
Conférence
Pais, Alexandre Nobre. Octobre 2009. Conférence sur l’art
de l’azulejo au Portugal présentée en collaboration
avec le Musée national de l’Azulejo de Lisbonne et
l’Université de Montréal.
Sites Web
Instituto Camões. Site pour la promotion de la langue et
de la culture portugaise à l'étranger [En ligne].
Document sur l’art de l’azulejo : http://www.instituto-camoes.pt/cvc/azulejos/fr/azulejo.html
(page consultée le 28 novembre 2009)
Museu nacional do azulejo. Site du Musée national de l’azulejo
à Lisbonne [En ligne].
http://mnazulejo.imc-ip.pt/
(page consultée le 26 octobre 2009)
Teia Portuguesa. Site d’appui à l’enseignement
et l’apprentissage de la langue portugaise et des cultures
lusophones [En ligne].
www.teiaportuguesa.com
(page consultée le 26 octobre 2009)
Wikipédia. Encyclopédie ouverte en ligne [En ligne].
Azulejo : http://fr.wikipedia.org/wiki/Azulejo (page consultée
le 26 octobre 2009)
Palacio de Pena : http://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_national_de_Pena
(page consultée le 30 novembre 2009)