Le premier sentiment
auquel j'ai été confronté lorsque j'ai entrepris
mes premières notes de cours sur la saudade, ce fût de
la confusion, non pas celle de l'ignorance que l'on ressent face à
un sujet ou à un phénomène inconnu mais plutôt
son opposé
La confusion d'un être face à une
pensée, à un émoi quotidien, voir perpétuel
mais sans fin négligé, refoulé voir à certain
moment jouté. Le meilleur exemple pouvant introduire mon essai
est un instant passager, presque furtif auquel tout notre groupe d'étudiant
a été associé. Lors du deuxième cours de
PTG 1210,
Mr Aguilar et Vitália s'acharnaient avec un entrain et un courage
(car il en faut!) remarquable, à nous faire comprendre en quelques
mots ce que pouvait représenter la mélancolie portugaise
traduite dans le mot saudade. La poussière s'éparpilla
lorsque Vitália en demandant le silence nous encouragea à
nous " rappeler d'un endroit, d'une personne, d'une période
ou d'un objet possédé dans le temps passé; même
si c'était hier; et ensuite d'en ressentir la perte, l'absence,
ou l'éloignement. " Après quoi elle nous dit : "
Voilà c'est cela la saudade. " Honnêtement la première
chose que je fit au lieu de plonger en moi-même à ce moment
là et d'observer une quelconque quiétude, ce fut de brouiller
en mon fort intérieur le plus grand nombre de piste et de souvenir.
Pourquoi?
Parce qu'il me paraissait inutile d'examiner un sentiment sur lequel
il m'arrangeait de faire le vide, pourquoi donc tenter de saisir quelque
chose que même un peuple qui le possédant en trait caractéristique
se délecte à enfouir en lui pour qu'il y prenne encore
plus racine?! Je ne m'en doutais pas à ce moment précis
mais je venais exactement de m'établir sur une pente, celle menant
tout droit à un labyrinthe d'émotions, de peurs et de
mystère.
Le sentiment que le peuple portugais dissimule aussi secrètement
dans sa culture, il le reconnaît dans son emblème, son
drapeau. On y discerne une sphère, symbole des grandes découvertes
et de l'universalité, les portugais sont très fiers de
cela, ils s'y reconnaissent comme cinq milliards d'autres âmes.
Un trait a appelé mon attention au sein de cette sphère,
c'est les méandres qui la constituent, tels un enchevêtrement
d'impression, un écoulement joyeux d'humeurs auxquelles on ne
cherche pas à altérer l'écoulement mélancolique
et souvent abrupt. Étant loin de mes racines depuis un certain
nombre d'années je peux épier ce sentiment assez facilement
avec du recul, la Bile noire, l'une de ces quatre humeurs, dont l'excès
selon la médecine ancienne, poussait à la tristesse.
La tristesse d'être loin; mais loin de quoi? D'une enfance enchanteresse
au sein d'un pays et d'un continent mystérieux et énigmatique?
D'une partie des membres de sa famille? D'une culture orale et encore
naturelle malgré les attaques de la modernité? Quoi? Cette
question a retentie en mon profond intérieur souvent depuis ce
cours ou Vitália a invité chacun à se laisser sombrer
quelques secondes dans ses souvenirs. La mélancolie de l'éloignement
me paraît aujourd'hui comme un état pathologique marquant
toujours le début d'une grande tristesse, voir d'un certain pessimisme
généralisé. Ici je peux me permettre de donner
une première réponse à ce questionnement; cela
semble être la distance entre un passé (agréable
ou pas) et un présent en gardant les relents. C'est se languir
de quelque chose ou de quelqu'un qui a participé à la
constitution de notre Soi, et dont on refait l'expérience à
travers la nostalgie. Cette mélancolie paradoxale tient surtout
du plaisir d'être triste, on ne regrette pas le passé,
on ne fait que se le remémorer. C'est comme un soleil, mais un
soleil noir, je pense que la distance entre moi et ce soleil représente
l'éloignement qui me sépare de mon pays mais comme seule
geste d'autodéfense je n'ose le regarder même si ce dernier
ne peut en rien m'aveugler. Pourquoi? Par peur, peur de ne pouvoir résister
à la folle envie du retour vers le passé, par peur de
ne plus pouvoir supporter une culture n'étant pas la mienne.
Alors la tête baissée on file droit dans l'obscurité
de son présent. Ce sentiment là il est universel; quiconque
dit ne l'avoir jamais ressenti se ment à lui-même et perdure
dans ses propres illusions; sentiment universel comme cette sphère
représentée sur le drapeau portugais mais en qui l'abandon
n'est pas observé par tous. En effet il est difficile de renoncer
à se protéger face à certains souvenirs, d'abdiquer
face aux longues croisières auxquelles invite le passé.
C'est à partir de là que ce démarque le peuple
portugais et le reste des peuples, un sentiment universel n'est pas
forcément accepté chez tous, le fait de se suspendre à
de doux parfums d'antan n'a pas le même goût d'une culture
à l'autre. Amer au cur pour certain il paraît un
nectar à l'esprit de certains autres. Moi je n'apprécie
pas à m'y délecter, ou à y épancher une
quelconque soif spirituelle, cela pourrait trop vite m'ouvrir les yeux
à la réalité violente qu'affronte mon pays (ainsi
que mon continent) et à la douceur à laquelle j'y ai été
habitué et bercé. Le peuple portugais lui, expérimente
cela sans arrêt, sans cessation aucune, bien au contraire demander
lui de ne pas y tremper sa littérature, de ne pas y teindre son
histoire ou de ne pas y suspendre son temps et il en mourra. C'est vraiment
cela la majeure distinction, l'expérience
L'expérience
d'imbiber continuellement son présent des rêves d'un destin
trop souvent subi et pas assez vécu.
Une expression qualifie bien la saudade : Le Vague à l'Âme.
On y ressent le " lâchage " constant d'un petit peuple
de marin qui a eu plus le courage que d'autres de prendre la mer, de
naviguer sur l'océan de ses souvenirs, de plonger dans l'onde
de son oubli et de respirer le parfum des rappels lointain que charrie
l'écume blanche de grises réminiscences.
Qu'un peuple accepte ainsi de se désister langoureusement du
présent me confond énormément, je viens d'un continent
ou abdiquer du moment présent mène vraiment à la
folie, car les choses qui s'y passent réclament une constante
vigilance, permettre ainsi au rêve d'empiéter sur l'âcre
réalité est pour moi dangereux. Et pourtant le Portugal,
ce navire aux milles odyssées, et son équipage ne cesse
de flotter entre ces deux eaux, sans se soucier d'un possible chavirement,
ou du choc avec un pernicieux écueil oublié. Voilà!!!
J'y suis, c'est exactement cela qui m'épouvante. Les marées
du passé regorgent de Krakens, de récifs près à
éventrer le flanc des embarcations imprudemment manipulées.
Les blessures fermées ne sont point bonnes à rouvrir et
les cicatrices ne traduisent rien d'autres qu'une douleur passée.
Pourquoi donc ne pas les dissimuler sous un tissu, le plus épais
possible et plus sombre que la pire des mélancolies. La peur
mène toujours à un abri, qu'il soit un refuge dans le
présent ou dans une passagère activité, pourquoi
le fuir, pourquoi s'exposer aux intempéries que découvre
la mémoire? Par plaisir? Quel est donc ce plaisir qui pousse
tout un peuple aux bords de ces gouffres béants dans lesquels
plus d'un peuple n'ose jeter un semblant de regard?
Affronter la mer est une chose, faire face à l'océan et
quitter le présent tout en y restant, laisser son esprit voguer
JOYEUSEMENT dans les courants de toute une odyssée humaine est
beaucoup plus terrifiant qu'appliquer des actes héroïques
ou hors du commun. Si on tient compte que l'histoire entière
de ce peuple est une aventure je pense que j'arrive à appréhender
plus facilement cette errance, ainsi que ce libre cours du rêve.
Joyeux dans ses tristesses le peuple portugais arrive peut être
mieux à aborder les défis constants auxquels il doit et
a du faire face des siècles durant, on peut dire qu'il n'y a
pas meilleur remède contre l'éloignement présent
que s'en éloigner plus encore pour échouer sur les rivages
de son passé. C'est sûrement à cela que tient plus
qu'autrui le peuple portugais, son histoire bien sur, mais surtout à
ses mythes, ses mythes fondateurs, ses joies passées, ses succès
et ses exploits d'avant.
Vivre donc son passé pour illuminer son présent et bâtir
son futur, drôle de cheminement à mes yeux, la réminiscence
joyeuse aux couleurs d'améthystes miroitant dans l'âme
du Portugal tout entier est vraiment particulière. Vivre sa mythologie,
son passé et se recréer chaque jour à partir de
cette première, je m'en avoue incapable dans mes expériences
présentes car pour moi c'est en expérimentant chaque jour
son " Temps "; incluant le passé, le présent
et le futur; qu'il est possible de se reconstituer. L'attachement aux
évocations me paraît souvent apeurant, car on ne sait jamais
sur quoi on risque de tomber ou en quel rêve déguisé
en réalité on risque de se noyer.
Si dans le passé les portugais sont partis à la conquête
de leur monde contemporain, aujourd'hui c'est à la conquête
de leur passé qu'ils continuent de s'atteler, je me rends compte
par ceci que les peuples nourrissent leurs pensées collectives
de mets différents et n'hésitent jamais à aller
à leur conquête, quand bien même se trouverai t-elle
en des lieux ô combien profonds. A la fin de cette immersion j'avoue
être encore dans le brouillard et je ne pense pas que de simples
mots pourraient traduire une pareille expérience. Le palpable
(aussi vaporeux soit-il) vaut souvent plus que des vocables, et si je
peux dire que les portugais ne possèdent pas plus d'impressions
que les autres peuples, je pense pouvoir affirmer qu'ils font l'expérience
d'une de leurs émotions qu'un grand nombre d'entre nous connaissons
mais ne laissons pas s'épanouir
La saudade.