Cette présentation
portait sur des petites chapelles que j’ai pu apprécier
dans les villes d’Ouro
Preto, São
João del Rei et Tiradentes, lors d’un
séjour de reconnaissance dans l’état
de Minas
Gerais en novembre 2006. Depuis, en consultant des
sites internet sur le tourisme culturel et la protection
du patrimoine brésilien, j’ai découvert
qu’il existait des chapelles semblables dans la
même région, dans les villes de Sabará,
Itabirito
et Prados. Le propos de cette présentation était
de réfléchir sur la légitimité
de l’application du terme chemin de croix à
ces constructions.
Il semble que les chapelles en question ont très
peu été étudiées. Germain
Bazin, qui demeure encore la source principale sur l’architecture
religieuse baroque au Brésil, est complètement
muet sur ces chapelles. Des spécialistes qui travaillent
dans la région ont essayé de m’orienter.
Mais mon constat est aussi le leur : il semble qu’aucune
étude académique approfondie n’ait
été consacrée à ces chapelles.
Évidemment, leur petite taille ne joue pas en leur
faveur, une situation à laquelle j’ai été
confrontée lors de la réalisation de ma
thèse de doctorat portant sur le chemin de croix
de la ville de Mexico : parce que les chapelles étaient
de dimensions réduites, elles avaient été
vues comme de l’architecture mineure et n’avaient
pas été étudiées sérieusement.
Nous possédons très peu d’information
sur l’histoire de leur construction, exception faite
des chapelles d’Ouro Preto (Arantes Campos, 52-53).
Dans certains cas, il semble que les constructions dateraient
de la première moitié du 18e siècle,
ce qui va de pair avec l’essor constructif de la
région du Minas Gerais. Néanmoins, il est
rarement question de l’existence de contrat écrit
précisant les architectes impliqués ou les
commanditaires. Très peu est dit par rapport à
la décoration interne des monuments, seulement
à Tiradentes il y avait une chapelle ouverte, et
ignorant ce qui s’y trouve, il est difficile de
savoir s’il s’agit vraiment d’un chemin
de croix.
Le chemin de croix est un exercice pieux institué
et propagé par les Franciscains, qui avaient reçu
la garde des Lieux Saints de Jérusalem. L’idée
était d’offrir aux dévots la possibilité
de recréer le chemin parcouru par le Christ chargé
de sa croix lors de sa Passion. Le pèlerinage en
Terre Sainte étant très long, dispendieux,
et dangereux, il s’agissait de rendre accessibles
à tous, par substitution, les bénéfices
spirituels du pèlerinage, sans avoir à se
rendre sur les Lieux Saints. Le fidèle des différentes
localités du monde catholique, dans ce cas-ci du
Nouveau Monde, pouvait gagner les mêmes indulgences
en faisant le chemin de croix à Ouro Preto, par
exemple, comme s’il l’avait réalisé
directement à Jérusalem. Les moments clés
de la Passion du Christ sont connus comme les stations
du chemin de croix; traditionnellement il y en avait quatorze,
et les dévots devaient s’arrêter devant
chacune d’elles pour réciter des prières
spécifiques.
Selon les sources consultées, les chapelles du
Minas Gerais sont associées aux fraternités
ou confréries du Senhor dos Passos da Paixão.
En général, il est question de sept passos,
bien que pas nécessairement constitués de
sept chapelles. Souvent l’exercice débutait
et terminait dans la paroisse de la localité, où
étaient situés le premier et le dernier
passo. Dans quelques cas, la fraternité était
plutôt associée au tiers ordre carmélite.
Ce regroupement religieux de frères laïcs
organisait différentes processions durant le Carême,
en relation avec la Passion du Christ.
La tradition des Passos da Paixão est d’origine
portugaise. L’idée est d’effectuer
un trajet dans la ville, marqué par un ensemble
de passos, qui sont des petites chapelles inscrites dans
le tracé d’édifices majeurs.
Cette dévotion était prise en charge par
différentes fraternités et confréries
ayant une dévotion particulière pour la
Passion du Christ. L’origine de cette tradition
lusitanienne se trouverait à Lisbonne à
l’église du couvent de Notre Dame de Grâce,
où fut fondée en 1587 la fraternité
du Senhor dos Passos da Graça (Maia Ataúde,
107-108). Les passos étaient à l’origine
de simples oratoires avec des images, mais ils ont évolué
pour devenir des chapelles plus élaborées.
Il est donc possible de penser que les chapelles brésiliennes
tirent leur origine de celles de Lisbonne. Il semble que
la dévotion serait entrée au Brésil
par l’intermédiaire des Carmélites
déchaussés en 1626, via Belém do
Pará, dans le nord du pays (Marques, 580).
Myriam Andrade Ribeiro de Oliveira affirme qu’il
existait dans la région du Minas Gerais des fraternités
du Senhor dos Passos, situées dans la plupart des
paroisses. Responsables de la propagation de cette dévotion;
ces fraternités seraient derrière la construction
des petites chapelles (Ribeiro de Oliveira, 122). Le problème
avec cette affirmation, c’est que la spécialiste
prend pour acquis qu’il s’agit de chemin de
croix, dévotion, on l’a vu, traditionnellement
associée aux franciscains. Étant donné
que les ordres religieux masculins et féminins
étaient bannis du Minas Gerais, Ribeiro de Oliveira
affirme que la fraternité du Senhor dos Passos
prenait la relève. Néanmoins, ma recherche
en Nouvelle-Espagne a clairement démontré
que plus que les frères franciscains, c’était
le tiers ordre qui était en charge de la dévotion
publique du chemin de croix. Le tiers ordre franciscain
était pourtant actif au Minas Gerais. C’est,
entre autres, aux différents tiers ordres que l’on
doit les constructions les plus riches et les plus audacieuses
de l’architecture baroque dans cette région.
Est-ce que la fraternité du Senhor dos Passos prenait
en charge au Minas Gerais une dévotion qui ailleurs
en Amérique hispanique était sous la protection
du tiers ordre franciscain? Existait-il un lien entre
cette fraternité et le tiers ordre franciscain?
D’un autre côté, il est parfois fait
mention, dans les cas lusitaniens, d’une proximité
avec l’ordre du Carme, situation que l’on
retrouve dans l’exemple de São João
del Rei. Pourquoi? Évidemment, je suis présentement
dans l’impossibilité de répondre adéquatement
à ces questions.
S’agit-il effectivement d’un chemin de croix
dans les chapelles des Passos da Paixão du Minas
Gerais? L’association si directe entre les deux
termes, est, à mon avis, hâtive. Malheureusement,
il semble y avoir actuellement confusion – et pas
seulement au Brésil - entre un cycle sur la Passion
du Christ et le chemin de croix, sans que l’on se
demande vraiment si le cycle servait d’appui visuel
et méditatif à cette pratique pieuse. Un
chemin de croix implique une réflexion sur le chemin
que Jésus a fait avec sa croix durant sa Passion,
l’exercice implique aussi un arrêt aux différents
tableaux (c’est-à-dire les 14 stations),
où sont récitées différentes
prières. Par conséquent, une série
de tableaux ou un groupe de sculptures portant sur la
Passion du Christ ne constitue pas nécessairement
un chemin de croix. Il faut noter que les exemples du
monde lusophone sont fréquemment formés
de sept passos, alors que le chemin de croix était
constitué de 14 stations. Il existe pourtant d’autres
dévotions à la Passion du Christ qui jouent
avec le chiffre sept. Il faudra donc chercher à
savoir si à l’époque il y avait confusion
entre la dévotion aux passos da paixão et
le chemin de croix, ou si en revanche il s’agit
d’une association plus récente.
Une raison, parmi tant d’autres, pourrait expliquer
pourquoi les constructions mentionnées dans cette
présentation ont si peu attiré l’attention
des spécialistes. Le Sanctuaire du Bon Jésus
à Congonhas do Campo est un complexe de dévotion
dédié à la Passion du Christ, très
différent des exemples vus jusqu’à
maintenant. Tout d’abord, les chapelles dédiées
à la Passion sont rassemblées dans un espace
restreint et non pas distribuées dans les rues
de la ville. Il s’agit aussi du monument baroque
du Brésil qui a le plus fait couler d’encre
puisqu’y a travaillé Antônio
Francisco Lisboa (1738-1814), connu comme l’Aleijadinho.
Beaucoup de livres ont été publiés
sur le sujet, mais l’emphase est mise sur l’histoire
de la construction du site qui s’est déroulée
pendant plusieurs décennies, sur ses extraordinaires
créations, et sur la figure de l’Aleijadinho,
même s’il ne fut pas le seul artiste à
y travailler. Il s’agit effectivement de la dernière
œuvre du maître alors que l’artiste était
déjà gravement malade, et l’ensemble
est une œuvre monumentale et fondamentale du baroque.
Néanmoins, très peu a été
dit sur le fonctionnement du sanctuaire, sur l’organisation
des processions, l’époque de leur réalisation
ou sur leurs responsables.
Beaucoup de questions restent en suspens concernant l’ensemble
le plus important de la dévotion à la Passion
du Christ de la région du Minas Gerais et du Brésil
colonial. J’ignore s’il existe effectivement
une relation directe entre les chapelles Senhor dos Passos
et le Sanctuaire du Bon Jésus à Congonhas.
Par contre, je crois qu’ils font partie d’une
même idée, celle de recréer activement
la Passion du Christ, une recréation qui a pu revêtir
différentes expressions artistiques. À ce
stade-ci de ma recherche, je trouve que les frontières
entre une dévotion et l’autre, en l’occurrence
le chemin de croix et les passos da Paixão, sont
parfois nébuleuses.
Ce projet de recherche a débuté dans le
cadre de la Chaire de recherche sur la culture portugaise
de l’université de Montréal. Il fait
également partie de mon projet de recherche postdoctorale
portant sur les séries de tableaux illustrant la
dévotion du chemin de croix dans les différents
vice-royaumes ayant constitué l’Amérique
latine coloniale, pour lequel j’ai obtenu une bourse
du Fonds québécois de recherche sur la société
et la culture.
Je tiens à remercier
David Amott, Beatriz Coelho et Luís de Moura Sobral
pour l’aide apportée.
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