Sandro Aguilar
Une vision du cinéma portugais

Cette année, au Festival international du nouveau cinéma et des nouveaux médias (FCMM), les cinémas portugais étaient à l’honneur. Sandro Aguilar, jeune réalisateur portugais, y présentait son dernier court métrage Corpo e Meio (Corps et demi). En conférence à l’Université de Montréal, il nous éclaira sur son oeuvre et sur le cinéma en général.

Par
Belmira Perpétua

Sandro Aguilar (à gauche) en conférence à l’Université de Montréal lors de son passage au FCMM

À première vue, rien ne laisse présager le génie cinématographique de Sandro Aguilar. Ce n’est qu’une fois le visionnement d’une de ses œuvres terminé que l’on réalise le don du jeune cinéaste portugais pour le 7e art. Ce don, Sandro Aguilar a pu le mettre à contribution à plusieurs reprises depuis sa sortie de la prestigieuse École supérieure de théâtre et de cinéma du Portugal.

En 1998, il débuta avec succès sa carrière cinématographique avec le court métrage Estou Perto (Proche) qui lui vaudra plusieurs prix au Portugal. Estou Perto aborde le problème de l’identité dans les relations amoureuses. Est-on soi-même avec l’autre ou joue-t-on un rôle? Les personnages s’inventent des réalités, se cachent derrière des façades et refusent de se mettre à nu devant leur partenaire. C’est, selon le cinéaste, la vision « d’une fiction de soi-même qu’on joue dans la réalité » tous les jours. L’action du film est difficile à suivre puisque le double dialogue constant des personnages et les bruits nocturnes citadins à l’arrière-plan viennent déranger le spectateur. Cependant, ces moyens sont utilisés par le réalisateur pour justement montrer la difficulté que l’on a à communiquer avec l’autre et la solitude que l’on crée même en étant dans une relation.

Avec son deuxième court métrage, Sem Movimento (Sans Mouvements), Sandro Aguilar a continué à aborder ce qu’il nomme « le point zéro des relations humaines », c’est-à-dire la solitude. Cette fois-ci, on retrouve ses personnages enfermés dans une voiture en plein centre commercial et prisonniers de leur désir de gagner l’automobile qui reviendra au dernier concurrent à rester cloisonné entre les quatre portes du véhicule. Sem Movimento fut inspiré par la vague de « reality shows » qui fait fureur à la télévision de ces temps-ci. Toutefois, on est loin du sensationnalisme de ces émissions qui, d’après le réalisateur, amènent les gens à faire n’importe quoi pour quelque chose qui cache réellement un malaise profond que ces gens ressentent. Dans Sem Movimento, ce malaise c’est la vaste solitude, l’individualisme aiguë des personnages qui ne se préoccupent que de leur petite personne et qui en même temps sont malheureux dans leur tour d’ivoire. Ces individus vivent un isolement total délibéré que le cinéaste montre à merveille sans qu’un mot n’aille à sortir de la bouche des personnages durant tout le film.

Sandro Aguilar,
réalisateur de cinéma de la jeune génération portugaise

Le dernier effort de Sandro Aguilar, Corpo e Meio (Corps et demi), est non moins le moindre. Le réalisateur y reprend son thème fétiche, la solitude, mais l’aborde par la perte d’un être chéri duquel un des personnages principaux fait le deuil. C’est la sensation d’absence qui prédomine durant tout le film. Le cinéaste rend cette sensation tangible par l’utilisation de couleurs sombres et froides, et aussi, par son emploi des grands espaces. Le deuil dont on est témoin est représenté au cours du court métrage par l’élément du feu : le feu destructeur, mais en même temps, le feu régénérateur. « Pour avoir une nouvelle chose, il faut en tuer une autre », dit Sandro Aguilar et c’est exactement cela que fait son personnage principal. Il brûle non seulement les vêtements de sa copine, mais aussi les mémoires qu’il a d’elle. Il faut qu’il détruise ce qu’ils avaient ensemble, afin qu’il puisse à présent poursuivre son chemin seul.

Les courts métrages de Sandro Aguilar sont des films qui laissent beaucoup de latitude et de pouvoir d’interprétation au spectateur. Cela est peut-être dû au peu de place accordée aux dialogues et à la parole en général dans les productions du réalisateur. L’emphase est surtout mise sur les images. Sandro Aguilar est conscient de cela et relate le fait que son cinéma « plutôt que de raconter, est un cinéma qui regarde et qui invite le spectateur à regarder. C’est un cinéma qui laisse place à plusieurs points de vue et à plusieurs interprétations qui sont toujours cohérentes avec les films ».

es problèmes que le jeune cinéaste portugais aborde (la solitude, l’identité personnelle, etc.) sont universels, mais la façon dont il les traite est typiquement portugaise. En effet, selon lui, « le cinéma portugais n’est pas engagé dans la réalité, mais on peut la retrouver dans les films ». C’est-à-dire que le cinéma portugais n’essaie pas d’imiter une réalité absolue. Il la recrée d’une manière qui peut ne pas être totalement réaliste. Sandro Aguilar fait exactement cela. Il dépeint une réalité par une fiction et ne se laisse pas prendre au piège de la représentativité objective de la réalité par le cinéma.

Scène du court métrage
Corpo e Meio