Portugal. Enclave de la Saudade.
Pays où l'on ne vit pas le présent, mais plutôt l'instant présent


Par
Adriana Parra

 

Au temps des Découvertes, c'était les épices, les soieries, les articles exotiques qui ont apporté la richesse; plus tard, c'était l'or du Brésil qui a permit d'amasser des fabuleuses fortunes; aujourd'hui, c'est l'argent provenant de l'Union européenne qui donne aux Portugais un standard de vie qui se ressemble à celui des pays très industrialisés. De ces fortunes colossales, sont restés des monuments somptueux, des véritables œuvres-d'art : des palais, des monastères, la reconstruction de Lisbonne (détruite par le tremblement de terre de 1755), des grands centres commerciaux les plus grands de l'Europe (à chaque époque son monument). Et les gens, le peuple, quel est leur rôle dans tout cela? Bien sûr, d'abord ce sont les seigneurs et un petit groupe de notables qui en ont profité. Aujourd'hui, démocratisation oblige, c'est Monsieur tout-le-monde qui peut utiliser ce mana. Les cartes de crédit, ne sont-elles pas une bénédiction du ciel qui permettent aux gens d'avoir accès rapidement aux biens et aux services dont ils ont besoin? De toutes façons, la facture est pour demain, et demain signifie futur, et futur est un mot brumeux que les Portugais arrivent mal à saisir… et à vivre. Comme le souligne l'écrivain Lidia Jorge …et c'est précisément elle (l'Europe) qui nous a amarré au monde dépravé du futur. D'ailleurs, lorsque les vannes de l'Union Européenne se fermeront un peu, ils feront appel, encore une fois, au mythe du sébastianisme pour qu'il vienne les délivrer du difficile moment présent.

Par contre, le passé est omniprésent, même si ces deux mots peuvent paraître contradictoires. Le Portugal vit dans sa saudade, il vit dans son Histoire, et ses habitants sont des convives venus d'un autre monde, convives qui continuent d'habiter dans ce lieu qu'ils ont quitté. Mais attention, qu'à cela ne tienne. Il ne s'agit pas de fantasmes, de tristesse, de sentiment maladif de vouloir vivre dans le passé. Les Portugais vivent dans un passé présent, l'Histoire est le décor où ils évoluent, ils y sont intégrés et cela leur permet d'apprécier davantage l'instant présent, de ne pas trop se soucier s'ils arrivent en retard parce qu'une demi-heure ce n'est rien du tout. Après tout, qu'est-ce que le temps pour eux qui ont réussi à le contourner, eux qui vivent dans l'Histoire? Ce n'est pas pour rien que Fernando Pessoa a dit, dans des paroles pleines de poésie: Ce pays n'évolue pas, il navigue dans un futur passé. Et c'est ainsi que le Portugal est grand.