La voix Alentejana
par

Valérie Trudeau


La petite superficie du Portugal n’est certainement pas proportionnelle à sa richesse culturelle puisque, grâce à son passé d’aventures et d’ouverture sur le monde, le pays recèle de traditions locales des plus diversifiées. C’est le cas des habitudes musicales qui reflètent une multitude de processus historiques, politiques et culturels, du fait que le Portugal fut profondément marqué par ses relations avec les autres civilisations européennes et extra-européennes. Effectivement, les peuples avec lesquels les Portugais entrèrent en contact ne manquèrent pas d’influencer ces derniers par leurs propres traditions musicales. Le territoire portugais fut longtemps un lieu de confluence privilégié des cultures d’Europe et d’outre-mer, où explorateurs, colons, esclaves africains et communautés immigrées apportèrent évidemment plusieurs coutumes.

Celui qui traverse le Portugal découvre un pays où de flagrants et nombreux contrastes géographiques, climatiques, économiques et démographiques façonnent ses caractéristiques. Ainsi, les géographes soulignent les différences entre le Nord atlantique, le Sud méditerranéen, les régions côtières et l’intérieur, en plus de diviser le Portugal continental en régions «naturelles». (1) Cette diversité de contrastes articula évidemment l’identité profonde des habitants en les distinguant les uns des autres, créant ainsi des particularités locales jouant un rôle de premier plan dans les modes d’expression.

Celui qui traverse le Portugal découvre un pays où de flagrants et nombreux contrastes géographiques, climatiques, économiques et démographiques façonnent ses caractéristiques. Ainsi, les géographes soulignent les différences entre le Nord atlantique, le Sud méditerranéen, les régions côtières et l’intérieur, en plus de diviser le Portugal continental en régions «naturelles». Cette diversité de contrastes articula évidemment l’identité profonde des habitants en les distinguant les uns des autres, créant ainsi des particularités locales jouant un rôle de premier plan dans les modes d’expression.

Considérées comme l’un des derniers refuges des traditions musicales archaïques de l’Europe occidentale, les campagnes portugaises, en particulier, ne purent échapper à la physionomie du pays. En effet, les musicologues d’aujourd’hui décrivent les musiques rurales comme une mosaïque de styles distincts, dont chacun correspond à une région précise où son micro-peuple veille avec fierté sur ses traditions qui le rendent unique.

Par contre, le Portugal connut au cours des trente dernières années du XXe siècle de profonds chambardements socio-politiques et économiques qui modifièrent grandement les différentes activités musicales. L’émigration, qui débuta au milieu du XIXe siècle, entama un processus de réduction de la population des campagnes qui atteignit son apogée lors de l’exode rural massif des paysans vers les villes portugaises ou étrangères durant les années 1960. Aujourd’hui, ainsi, le visage des régions campagnardes est fort métamorphosé, puisque seulement 10% de la population, qui est de plus en plus vieillissante, tire ses revenus de l’agriculture.(2) De plus, la mécanisation agraire, survenue au milieu du siècle dernier, supprima plusieurs travaux agricoles habituellement accomplis par les hommes et qui accompagnaient tout un répertoire musical. Ces derniers virent donc diminuer de beaucoup les occasions de garder leurs traditions vivantes. Pour terminer, l’apparition de la radio, qui introduisit la musique urbaine et populaire dans les villages les plus reculés où les styles vocaux furent immanquablement influencés, ainsi que la télévision, qui elle introduisit dans les maisons, les tavernes et les restaurants les bruits et les images de la ville qui ne manquèrent pas de modifier les rapports sociaux et remplacer trop souvent les conversations et le chant, officialisa le point de non-retour vers l’âge d’or des traditions musicales portugaises.

Il ne faut cependant pas croire que les formes d’expressions locales coururent à leur perte. Bien que certaines aient cessé d’exister, d’autres, au contraire, furent réadaptées au cours des dernières décennies afin de remplir de nouvelles fonctions dans de nouveaux contextes, comme le font les troupes musicales lors de fêtes variées.

Les paroles et les mots tiennent une place essentielle dans la musique traditionnelle portugaise, ce qui explique pourquoi la voix est considérée comme un instrument de prédilection. Les paroles chantées, comme c’est le cas dans la région de l’Alentejo, racontent des histoires, font la chronique des événements du passé, incarnent la dévotion religieuse, expriment l’émotion, célèbrent les grands événements de la vie, proteste contre l’injustice, revendiquent des droits mais sont, avant tout, une source de divertissement. (3)

Les chants typiques de l’Alentejo riment avec plaines d’oliviers, chênes-lièges et fermes céréalières. Sa population engendra au fil des années de nombreuses recherches musicales à travers les pièces vocales polyphoniques chantées uniquement par des hommes. D’ailleurs, l’éminent compositeur Fernando Lopes Graça considérait les gens de l’Alentejo comme les plus musiciens du pays.(4) Il faut cependant préciser que c’est le bas-Alentejo qui est l’hôte du plus important bouillonnement musical.

Les premiers groupes vocaux furent fondés à Serpa, en 1928, puis qu’à Cuba, en 1930, et ceux d’aujourd’hui sont demeurés sensiblement les mêmes qu’à cette époque. Aussi, à la suite de la révolution des Oeillets, l’Alentejo et les endroits où sont situées les communautés immigrées alentejanes dans la ceinture industrielle de Lisbonne ont vu leur nombre augmenter considérablement et l’on estime à ce jour qu’il serait autour de soixante. (5)


Puisque les champs ne sont plus les lieux de prédilection pour l’exercice du chant, ce sont les tavernes qui prirent la relève en devenant un lieu informel de répétition et de recrutement pour les choeurs. Ceux-ci se produisent désormais lors des fêtes nationales, municipales ou religieuses.

Il existe deux notions fondamentales dans la conception alentejane du chant polyphonique, c’est-à-dire le canto et le cantar à alentejana. Le premier est simplement le chant alentejan, qui se réfère au répertoire de vers rimés chantés sur des mélodies appelées modas. Ces dernières consistent en plusieurs couplets chantés sous forme de strophes et généralement précédées, en introduction, d’un couplet de quatre ou cinq lignes appelé cantiga. Il existe aussi, dans le bas-Alentejo, une distinction entre les répertoires et les styles d'exécution de la rive droite (dont la capitale musicale est Cuba) et de la rive gauche (dont la capitale musicale est Serpa) de la Guadiana qui coupe l’Alentejo du nord au sud. Les modas pesadas, dites «lourdes», au rythme mélismatique et lent sont souvent considérées comme originaires de la rive gauche, tandis que les modas ligeiras, aussi appelées «légères», puisqu’étant rapides et syllabiques, proviendraient de la rive droite. Quant à la deuxième notion, c’est-à-dire le cantar à alentejana, elle ne désigne en réalité que l’exécution vocale polyphonique du répertoire de cantos. (6)

Les poètes et les compositeurs de cantos sont très souvent des figures locales et ne connaissent que très rarement une renommée nationale. Leurs textes traitent la plupart du temps de la nature, de la maternité, de l’amour, de lieux particuliers de l’Alentejo, de religion et, depuis la révolution du 25 avril 1974, leurs modas sont utilisées comme véhicule d’expression politique. (7)

Finalement, la constitution des choeurs est à spécifier. Formés de quinze à trente chanteurs, ceux-ci possèdent deux solistes dont la présence est primordiale lors du début des modas. En effet, le premier (le ponto) les entonne en chantant la cantiga, une introduction d’un couplet de quatre à cinq lignes. Puis, le second (l’alto) chante un tierce au-dessus du ponto avant d’être accompagné par le baixos, qui est l’ensemble des choristes. Il existe deux types de prestations vocales : celle du cantar em parada qui demande aux hommes de chanter debout et immobiles, et celui du cantar desfilando, qui consiste à chanter en défilant au rythme de la moda lors des parades. Le membres, qui proviennent la plupart du temps de la même ville ou du même village, portent des costumes répliquant ceux portés au début du XXe siècle lors de la journée du dimanche ou pour les travaux agricoles. L’on peut ajouter, pour conclure, que le nom de chaque choeur contient en général une référence à sa localité d’origine et très souvent à des travaux agricoles, tels les «Ceifeiros de Cuba» ou les «Vindimadores de Vidigueira». (8)

Ainsi, la tradition perdure. Elle est cependant soumise à la mémoire et à la volonté du peuple alentéjan. Qu’adviendra-t-il lorsque sa relève la considérera désuète? Les coutumes ont une vie, certaines plus longue que d’autres et j’ose affirmer que celle des chants de l’Alentejo n’est pas encore terminée.


Notes

1-In CASTELO-BRANCO, SalwaEl-Shawan, Voix du Portugal, p. 17.
2-Ibid p. 22.
3-Ibid p. 22.
4- Ibid p. 51.
5- Ibid p. 56.
6- Ibid p. 56-57.
7-Ibid p. 58.
8-Ibid p. 59-61.

2004