Le Cinéma portugais

par

Jonathan Hachey



Depuis quelques années, le cinéma hollywoodien est en déclin. Cette chute est due au manque d’originalité des productions (« remake », suites incessantes), à une esthétique rendue trop conventionnelle, une surcharge d’effets spéciaux rocambolesques, des thématiques sans profondeur et pour clore le tout, des valeurs ultra-conservatrices typiquement américaines (qui commence à agacer le public non-américain). L’emblème du cinéma par « excellence » perd de plus en plus son public au profit des cinémas provenant des pays étrangers. Le soudain engouement du public pour les différents festivals internationaux de film démontre clairement un changement de mentalité chez le spectateur. À la suite d’une recherche sur le cinéma portugais, j’ai découvert un « courant » cinématographique qui ne m’a pas laissé indifférent. Il s’agit d’un jeune « mouvement » qui se distingue de par sa fraîcheur, son esthétique recherchée et de la qualité de son contenu. Je vais vous partager ma découverte du nouveau cinéma portugais, tout en espérant qu’après cet article, vous aurez envie d’aller voir des films de ce « courant ».

Le nouveau cinéma portugais est apparu vers la fin des années 90, avec l’arrivée de jeunes réalisateurs ayant terminé leurs études à l’École Supérieure de Théâtre et du Cinéma à Lisbonne. Se joignant aux deux générations précédentes : soit la première génération, celle de Manoel de Oliveira (qui est le plus vieux réalisateur au monde à tourner des films) et la seconde génération, celle des réalisateurs comme Paulo Rocha. Le parfait mélange de ses trois générations apporte une grande richesse au cinéma portugais. Selon Denis Bellemare, spécialiste du cinéma portugais et professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi : « Le cinéma portugais est actuel et moderne, ses cinéastes chevronnés sont vivants, créatifs et ils expérimentent, les jeunes peuvent sentir leur présence quitte à leur tourner le dos, la génération intermédiaire, quant à elle, se pose la difficile question de cet héritage de taille. »(1) Denis Bellemare donne un commentaire exact sur la situation du cinéma au Portugal.

Lorsque le spectateur regarde un film du nouveau cinéma portugais, il est investit de cet univers moderne et créatif, dont parle Denis Bellemare. Les cinéastes portugais s’intéressent aux sujets actuels touchant la société moderne. Par exemple, le cinéaste Sandro Aguilar porte une attention particulière aux thèmes touchant des relations humaines comme la solitude, l’incommunicabilité et le deuil. Alors qu’un autre cinéaste de la même génération, Miguel Gomes sera attiré vers les thématiques des relations à travers la vision de l’enfance et de l’adolescence. Chaque cinéaste aborde son sujet de façon personnelle. La subjectivité imprègne l’œuvre de l’artiste et le spectateur peut le ressentir en regardant le film.

«La diversité des thèmes et des imaginaires qui n’ont de cesse d’interroger la conscience nationale et ses meurtrissures, l’extrême sensibilité d’une lumière qui structure magnifiquement l’espace de la fiction, la beauté des formes qui exacerbe le réel et éprouve l’essence même du cinéma pour reconvoquer à l’écran une virginité perdue du regard. »(2) Comme l’indique Gérard Grugeau, le nouveau cinéma portugais est un cinéma du regard. Ce n’est pas un cinéma où l’on se fait raconter une histoire, mais c’est plutôt un cinéma que l’on regarde. Le spectateur doit porter une attention particulière sur les images qu’ils voient à l’écran, car s’est par celles-ci que le spectateur pourra interpréter le message du cinéaste.

Les cinéastes du nouveau cinéma portugais ont un réel souci de l’esthétique de l’image. Ils sont toujours à la recherche d’une image esthétiquement parfaite. Plusieurs jeunes réalisateurs sont passés maîtres dans l’art de jouer avec la lumière. Par exemple, dans le film Corpo e Meio, la scène du vêtement tombant dans un puit noir est un délice pour les yeux. Toute la scène se joue avec un jeu de lumière qui donne l’impression que le puit est sans fond. Les cinéastes portugais veulent que leurs films soient beaux à regarder, comme si les films étaient des tableaux. Chaque image montrée est un long travail de recherche esthétique. Les films du nouveau cinéma portugais ont tendance à être lent. Les cinéastes portugais ont développé cette esthétique de la lenteur en rapport avec l’image. Le rythme des films peut sembler lent, parce qu’il n’y a presque aucun mouvement dans les séquences filmiques. Il n’y a pas beaucoup de déplacement de la caméra. Rare son les déplacements de la caméra. La caméra semble être fixée au sol, ce qui donne une esthétique de photographie ou de tableau. Les cinéastes évitent les déplacements tel que les travelling ou les panoramiques, c’est les personnages qui doivent entrer et sortir du cadre. La caméra ne suit pas les personnages continuellement comme si elle était un voyeur. De plus, les personnages semblent être statique à l’écran. Ils ne bougent presque pas, ils semblent être figé comme des automates. Par exemple, les personnages de Sandro Aguilar ne sont pas des humains, car ils sont dans l’incapacité de communiquer avec les autres. Les films de Sandro Aguilar ont une esthétique de la lenteur, car il n’y a ni musique d’ambiance, ni de dialogue, ce qui tend à ralentir le rythme des films. Comme je l’indiquais plus tôt, le nouveau cinéma portugais est un cinéma qui ne raconte pas d’histoire mais c’est un cinéma du regard. Une majorité des films de ce « courant » n’ont presque pas de dialogues. Il y a plus de moments silencieux que des dialogues dans les films. Habituellement, les dialogues n’apportent pas d’éclaircissement sur la compréhension du film, car tout doit se comprendre en regardant les images. Finalement, les cinéastes portugais ne veulent pas être regroupé sous l’étiquette d’un cinéma national. « Les cinémas du Portugal est au pluriel afin d’éviter la tendance à limiter un cinéma national à un seul nom… »(3)

Lorsqu’on parle du cinéma portugais, le nom qui revient le plus est celui de Manoel de Oliveira, car s’est le cinéaste le plus prolifique et le plus connu du Portugal. Mais, les jeunes cinéastes veulent briser cette image en affirmant qu’il n’y a pas que Oliveira comme réalisateur au Portugal. Le Portugal pullule de talentueux cinéastes qui méritent d’être vus et reconnus à travers le monde. Finalement, les films du nouveau cinéma portugais sont innovateurs, car les cinéastes connaissent bien leur médium et ils cherchent toujours de nouveaux moyens de l’exploiter soit en faisant référence aux autres arts. En effet, la tendance actuelle du cinéma portugais (et partout dans le monde) est à l’intertextualité. Le cinéaste s’inspire ou bien cite des œuvres de d’autres auteurs à travers la sienne. Manoel de Oliveira est passé maître dans ce genre d’emprunt dans ses films, car ses références sont dissimulés à travers ses films et seuls les gens connaissant ses références y voit un clin d’œil à l’œuvre originale.

Bien que le nouveau cinéma portugais jouisse d’une grande reconnaissance lors des festivals internationaux de films, il n’arrive pas à percer dans son pays. Il est difficile de croire que les films portugais sont plus appréciés et vus en France qu’au Portugal. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène (qui est tout à fait normal, car il se produit le même phénomène partout dans le monde). L’une des raisons principales de ce rejet est causée inconsciemment par le spectateur. Habitué de voir le même type de films, en l’occurrence les films hollywoodiens, le spectateur est conditionné à voir qu’un seul genre de film. Il aura beaucoup de difficulté à apprécier un film ayant une structure différente que celle dont il est habitué. Par exemple, les spectateurs de films d’action auront de la difficulté à comprendre et à aimer un film comme Sem Movimento, car le film ne suit pas la structure conventionnelle des films hollywoodiens. Les films du nouveau cinéma portugais ne rejettent la structure conventionnelle des films « américains ». Les films portugais ont une structure innovatrice qui leur est propre. Le rythme lent des films du nouveau cinéma fait fuir beaucoup de spectateurs. Encore une fois, le spectateur est conditionné qu’à un genre de film, et s’il voit un film avec une autre structure différente, il serait perdu ou il détestera le film. Avec un rythme lent, le film semble être statique, les spectateurs croient qu’il ne se passe rien… Finalement, le cinéma portugais n’est pas considéré comme une réelle industrie, parce qu’il produit peu de films par années (environ une dizaine de longs métrages), mais on le considère comme un cinéma artisanal. Selon des statistiques de l’ICAM, en 2000, le cinéma portugais avait produit en tout (courts et longs métrages, documentaires, animations) 39 films. Comme il est possible de constater, le Portugal n’a qu’un petit marché à exploiter. Le public portugais n’est pas attiré par son cinéma, car les salles d’exploitation refusent de présenter leurs propres films. Selon des statistiques de l’ICAM, en 2000, il est sorti 240 films dans les salles de cinéma au Portugal. Il y a eu seulement 13 projections de films portugais, alors qu’il y a eu 136 films américains qui ont été projeté sur les écrans portugais. Les cinéastes portugais préfèrent un cinéma d’art qu’un cinéma commercial. Selon João Bénard da Costa, les cinéastes du nouveau cinéma portugais privilégient un cinéma délaissé en ce début du 21e siècle. Il y est vrai que le cinéma artistique est de plus en plus dénigré au profit du cinéma commercial, car il ne rapporte pas d’argent. Donc, bien que le nouveau cinéma portugais semble avoir un bel avenir dans les festivals de films, il n’en reste pas moins qu’il devra accrocher son public, pour qu’il puisse enfin avoir la reconnaissance dans son pays. En résumé :

« Le Portugal a du mal à séduire avec ses histoires baroques, surréalistes lyriques et passionnelles, entre égarement mental et tragédie quotidienne. Malgré une image très soignée, une esthétique qui lui est propre, les sujets, pas assez universels, et le rythme souvent trop lent, ne comblent pas les attentes d’un public de plus en plus formaté à un cinéma sans regard. »(4)

En bref, le nouveau cinéma portugais est en pleine effervescence. Plusieurs films de ce « courant » sont présentés dans différents concours et festivals internationaux de films. Les critiques de cinéma et les initiés apprécient le vent de jeunesse du nouveau cinéma portugais. Le nouveau cinéma portugais est un cinéma de grande qualité tant du point de vue esthétique que du point de vue du contenu. Cependant, même si ce nouveau cinéma reçoit beaucoup d’éloge des gens du cinéma, il est dommage d’apprendre que les Portugais dénigrent leur cinéma et n’en profitent pas plus à s’y intéresser. Ils manquent la chance de découvrir une vision intérieure de la société portugaise. Il est aussi navrant que ce nouveau cinéma ne soit pas accessible à tous, car le public rate une occasion d’enfin voir un film de qualité.


Index des citations :

1. BELLEMARE, Denis, Les cinémas du Portugal. « Festival International du nouveau cinéma et nouveaux médias », Montréal, octobre 2001 2. GRUGEAU, Gérard, Résister au temps, 24 images, #100, Montréal, 2001, p.19 3. BELLEMARE, Denis, Les cinémas du Portugal. « Festival International du nouveau cinéma et nouveaux médias », Montréal, octobre 2001, p.5 4. http://ww.ecrannoir.fr/dossiers/monde/Portugal/ visité le 11-11-2004

Bibliographie


Site internet :
http://www.divx-trip.com/cinema_portugais.php visité le 18-11-2004
http://ww.ecrannoir.fr/dossiers/monde/Portugal/ visité le 11-11-2004
www.teiaportuguesa.com visité le 15-11-2004

Revues et livres :
BELLEMARE, Denis, Les cinémas du Portugal. « Festival International du nouveau cinéma et nouveaux médias », Montréal, octobre 2001
DA COSTA, João Bénard, Petite histoire du cinéma portugais, 24 images, #110, Montréal, printemps 2002, p.19-20
GRILO, João Mário, Mercredi des cendres: Petite chronologie du cinéma portugais, Traffic, #32, France, hiver 1999, p.75-82
GRUGEAU, Gérard, Voyage au pays des « limbes », 24 images, #110, Montréal, printemps 2002, p.5 à 10
GRUGEAU, Gérard, L’économie du cinéma au Portugal : Deux ou trois choses que je sais d’elle, 24 images, #110, Montréal, printemps 2002, p.13-14
GRUGEAU, Gérard, Résister au temps, 24 images, #100, Montréal, 2001, p.19
Documentation de l’ICAM, Entretien avec Raquel Freire et comptes rendus des Cahiers du cinéma # 422 (1989) et 455-456 (1992)
PARSI, Jacques, Cinéma portugais, Traffic, #32, France, hiver 1999, p.65 à 74