VISION OU RÉALISME:
Une Sainte ironie sur l'Actualité des textes littéraires d'Eça de Queirós

par
Elaine Allard



Eça moût l'idéalisme avec le pilon du Réalisme: une caricature de Bordalo Pinheiro

Nous pouvons décrire le Réalisme comme courant littéraire, comme une tendance de la seconde moitié du XIXe siècle qui privilégie la représentation exacte, non idéalisée, de la nature et des hommes. Dans la littérature portugaise, on ne peut s'empêcher d'attribuer cette façon d'écrire à l'illustre Eça de Queirós. Ce qui me frappa le plus chez Eça de Queirós le grand auteur portugais de la période post-romantique est la manière dont il a utilisé la littérature comme arme critique. Se faisant observateur sur le Portugal, la société, la politique et la culture. Cet auteur a peint certains portraits d'un Portugal de la fin du XIX siècle. À travers sa vision, son expérience et sa fiction, il a de la sorte produit plusieurs écrits, romans, lettres qui ont su résister au fil du temps. Son style original souvent empreint de " Sainte ironie " semble encore toucher aujourd'hui les lecteurs et contribue à l'appréciation de ses œuvres. Mentionnons, en autre, As Farpas (1871), O Crime do Padre Amaro (1875), A Relíquia (1887), Os Maias (1888) et Uma Campanha Alegre (1890)comme étant des oeuvres puissantes. Eça nous fait voir le Portugal sous un certain angle, duquel il ne faut pas nécessairement généraliser. Comme le souligne Addool Karim Vakil (1)" il y a la conscience typiquement queirosienne et partagée par sa génération d'un Portugal demi-périphérique " malade de l'Occident ", d'un Portugal au bord de la faillite […] petite nationalité dépendante, […] , des intérêts de l'équilibre des pouvoirs. C'est ce jeu de correspondance qui traverse les pages d'Eça et relève cette conscience de la double ambiguïté de l'Orientalisme portugais : simultanément consommateur des images occidentales de l'orient et victime de ces mêmes images, et tragiquement conscient du fait d'être l'objet d'autres formes d'orientalisation. " Ainsi l'on peut constater l'influence des voyages d'Eça ( Egypte, Caire, Jérusalem, Malte,

Havane, Paris, Angleterre, Etats-Unis, Canada) que sa position comme consul du Portugal à l'étranger apporta à ses écrits. Sa profession, qu'il exerça pendant 28 ans lui permis, en autre, de sortir du cadre de sa propre réalité. Par exemple, lors de son séjour à la Havane, l'esprit critique et protestataire de sa personnalité se trouva touché dû à l'importation des chinois coolies qui débarquèrent sur l'île vers 1847. Or , il ne se gêna point pour scander son opinion sur le sujet, lui qui prit position contre ce commerce honteux. D'autre part, lorsqu'il exerça ses fonction en Angleterre vers 1874, il développa une relation ambivalente face à ce pays. On peut retrouver l'opinion d'Eça sur l'Angleterre sous forme d'une prose non-fictionnelle dans certains de ses écrits (Cartas de Inglaterra, Crónicas de Londres.) Alors, que dans le célèbre roman " Os Maias " , il y peint un portrait idéalisé du peuple anglais. Toutefois, il y va d'un ton plus sévère sur la politique extérieure et s'amuse à caricaturer les anglais en y faisant ressortir leurs défauts les plus ridicules. Eça est certainement un être de contraste, mais par ce fait même, il fut remarquable. Il n'est certainement pas donné à tous de pouvoir saisir une double réalité, de faire cet effort de voir le blanc et le noir à la fois. Et d'autant plus, qu'il eut le génie d'exprimer et de traduire ses pensées. En fait, bien que toute démarche soit teinté de subjectivité, il en convienne qu'une des grande qualité d'Eça est sa démarche éthique. On entends ici par réflexion éthique le fait d'avoir une certaine ouverture d'esprit, une curiosité intellectuelle, le sens de l'imagination, le respect de la vie, de l'esprit humain et de ses propres valeurs en tant qu'individu et en tant que société(2). La vision d'Eça fut pourtant simple, à l'image d'une relation qu'on a lorsque on aime et qu'on se livre tout en ne pouvant renier son être. On apprécie les qualité et les idées de l'autre, mais l'on conserve son identité; c'est-à-dire qu'on ne peut se permettre d'être injuste ou non-critique, même face à soi-même. De ce fait, on peut possiblement mieux comprendre la relation conflictuelle d' Eça de Queirós avec sa terre natale.

Du temps où Eça se retrouva à Lisbonne (1866-1872), il participa à l'élaboration et l'animation de ce que l'on a appelé la Geração de 70. Ce groupe de jeunes intellectuels composèrent un manifeste intitulé: Les Conférences démocratiques du Casino. Ce travail incitant à faire un effort de réflexion collective, tout en proposant de réformer la société portugaise et tendant à lier le Portugal au mouvement moderne de l'Europe. Ce groupe était principalement réuni autour de Eça de Queirós et Antero de Quental. Ils s'en suivit certaines conférences remarquables dont celle d'Eça portant sur Le Réalisme comme nouvelle expression de l'art où, il fait une critique directe du romantisme et du culte de l'art. Ainsi, il présente le réalisme, non comme une manière de représenter passivement l'homme, mais au contraire, comme le fait d'en faire une critique. Son désir de voir le Portugal évolué, de changer les mœurs et les mentalités étaient si fort, tant qu'utopique. Néanmoins, j'admire le courage qu'il a eu d'essayer de crier haut et fort à travers ses écrits et exposés, ses convictions morales et éthiques. Sûrement beaucoup d'oreilles l'on entendu, certains médusés voire outrés, d'autres touchés et engagés. Son esprit non-conformiste soulevant bien des débats et son ironie, humour noir permettant de rire jaune. Un des extraits, qui a d'ailleurs soulevé mon attention, est celui des lignes de l'avertissement de Uma Campanha Alegre. Un des journalistes du journal portugais d'aujourd'hui, Expresso, Manuel Maria Carrilho, s'est amusé dernièrement à construire un article intitulé: O País está Perdido!(3) …, à partir uniquement d'extraits de ce texte. On y décrit la société comme corrompue, où personne ne se respecte, ou l'écart entre riches et pauvres ne fait que se creuser, où le complot politique règne, un pays désorganisé et un peuple ignorant, déconscientisé… Un texte si criant d'actualité que certains ont cru que ce texte était signé de la main même du journaliste, ancien ministre de la culture du gouvernement socialiste portugais! Cent trente ans depuis on y croit toujours, l'histoire se répète, le pays est appelé au changement. Il n'y a qu'à suivre l'actualité pour se rendre compte de cette décadence, en autre, économique. Comme l'illustre les propos d'un livre, qui a été lancé dernièrement (soit le 5 décembre 2002), par l'Institut Supérieur d'Économie et Gestion (ISEG). Le livre intitulé : Produtividade e Crescimento em Portugal, compare le Portugal a une vielle tortue qui est appelée rapidement à se transformer en lièvre, si elle veut atteindre le niveau de vie européen afin de survivre. Comble de l'ironie, Eça tu survivras sûrement pendant plusieurs autres siècles!

 

(1) Critique d'Eça de Queirós, " d'Eça de Queirós", Instituto Camoes, Revista de Letras e Culturas Lusófonas, abril-setembro 2000, núumero 9-10, p.33.
(2) Définition inspirée des théories avancées par Margaret Somerville dans le livre " Le canari éthique, Science, société et esprit humain "Liber Montréal, 2003.
(3)
CARRILHO, MANUEL MARIA, "O país está perdido!…", Journal en ligne Expresso, 11 novembre 2002, http://semanal.expresso.pt/opiniao/artigos/interior.asp?edicao=1567&id_artigo=ES75832.
MATEUS, JOANA NUNES, "Urgência nacional", Journal en ligne Expresso, 30 novembre 2002, http://semanal.expresso.pt/economia/artigos/interior.asp.?edicao=1570&id_artigo=ES77783.