Julie Reydellet



La corne d’abondance, Palais Fronteira, Lisbonne,
fin du XVIIe siècle.


Détail des Singeries, Palais Fronteira, Lisbonne, troisième quart du XVIIe siècle.


Vue du bassin des chevaliers, Palais Fronteira, Lisbonne.


Détail d’un panneau de la gare São Bento à Porto.


Sphère armillaire et aspect de la Salle des Arabes, Palais National de Sintra, vers 1500.

 


La chasse au léopard, fin du XVIIe siècle.

 


Figures d'Invitation, Cour des Archevêques SantoAntao do Tojal, vers 1730.

Palais des Comtes de Mesquitela, Lisbonne,
fin du XIIIe siècle.

 

 

 

 

Les azulejos:
un voyage à travers la culture portugaise

par
Julie Reydellet


Lorsque l’on visite le Portugal, nombreux sont les lieux où l’on peut contempler des azulejos. À Porto, les panneaux muraux de la gare São Bento nous font découvrir des pans de l'histoire portugaise. À Lisbonne, le Palais des Marquis de Fronteira ainsi que le Musée national de l’Azulejo sont de véritables sanctuaires pour les amateurs de cet art.

En octobre dernier, nous avons eu la chance d’assister à une conférence donnée à l’Université de Montréal par Alexandre Nobre Pais, conservateur au
Musée national de l’Azulejo. Sa présentation nous a permis de mieux comprendre l’évolution de cet art au Portugal du XVe siècle à aujourd’hui.

Par cet article, nous souhaitons vous présenter l’art des azulejos et tracer les grandes lignes de son évolution à travers les siècles. Au fil de ce parcours historique, nous verrons quelles sont les influences qui ont amené des changements stylistiques. Nous aborderons aussi les différents rôles des azulejos. Enfin, nous verrons brièvement quelle est la place des azulejos dans le Portugal contemporain.

Les azulejos sont des carreaux de faïence, peints et vernis, assemblés pour former une œuvre abstraite ou figurative. Le terme azulejo ne signifie pas bleu comme on pourrait facilement le penser (azul en portugais). En fait, le mot azulejo provient plutôt du mot arabe al zulaydj qui signifie pierre polie.

Importé par les Maures lors de leur occupation au XVe siècle, l’art des azulejos s’est développé dans toute la péninsule Ibérique et après au Mexique et dans les anciennes colonies portugaises.

Les premiers azulejos du patrimoine portugais datent de la période hispano-mauresque du XVe siècle. Ils servent à composer des panneaux que l'on retrouve à l'intérieur de bâtiments. Ces azulejos sont composés de motifs géométriques symétriques plus ou moins complexes qui peuvent se répéter à l’infini. Dans la culture islamique, ces géométries, que l’on retrouvait entre autres sur les motifs des tapis, symbolisaient la vastitude des étoiles dans le ciel. Jusqu’au XVIe siècle, les portugais utilisent des techniques archaïques telles que l’alicato (technique de découpage géométrique des pièces après la cuisson), la corde sèche (moule en argile) et l’arête (moule en argile qui permet d’utiliser plusieurs couleurs). À cette époque, Séville est le grand centre producteur et Dom Manuel Ier y commande des azulejos. Peu à peu, les motifs au rôle décoratif vont évoluer avec l’influence des thèmes végétaux et animaliers européens.

Les apports figuratifs et narratifs des flamands

Au XVIe siècle, on assiste à une influence italienne sur la céramique flamande. C’est l'avènement de la technique de la majolique, qui consiste à peindre directement sur les carreaux. Des céramistes flamands s’installent au Portugal et ils apportent une dimension figurative et narrative à l'art de l’azulejo dont la diversification va se concrétiser au XVIIe siècle. En effet, le XVIIe siècle est caractérisé par une grande diversité figurative et un mélange des genres. Les sources d’inspiration sont très variées, des « grotesques » (motifs profanes de la Rome Antique) aux thèmes religieux, en passant par des motifs inspirés de tissus importés des Indes… Il en résulte des scènes figuratives de tous genres : religieuses, de chasse, de guerre, mythologiques et satiriques. Les artisans n'ont pas de formation académique mais ils utilisent leur bon sens pour s’adapter aux goûts des différents mécènes. Ils réalisent de petits panneaux religieux pour l’Église et des scènes profanes pour les nobles. C’est à cette époque qu’est réalisée la décoration du Palais Fronteira (1670). On y retrouve entre autres des scènes satiriques, les Singeries qui portent un regard ironique sur le genre humain.


Les caractéristiques typiques des créateurs portugais: l'astuce, le sens d'improvisation et les échanges avec d'autres cultures

Puisqu’ils se basent souvent sur des images comme modèle, les artisans portugais se retrouvent face à un problème technique : le changement d’échelle. Ils trouvent alors toutes sortes d’astuces pour contourner les obstacles. Par exemple, dans La chasse aux léopards, l'artisan a élargi la scène par rapport à la gravure qui lui servait de modèle. Ne sachant pas comment dessiner les pattes du léopard au premier plan, il a intégré un buisson pour se simplifier la vie. Le recours à toutes sortes d’astuces signale définitivement un sens pratique efficace propre à la culture portugaise. Les artisans acceptent souvent l’imperfection. À mon sens, les azulejos du XVIIe siècle sont particulièrement émouvants parce qu’ils présentent des caractéristiques typiquement portugaises. Leur création est inspirée d’images exotiques, ce qui illustre aussi les échanges que fait le Portugal avec d’autres cultures.

La phase bleue et l'influence hollandaise

À la fin du XVIIe siècle, les portugais commandent des céramiques hollandaises exécutées par des peintres qualifiés qui ont une très grande maîtrise technique et qui travaillent avec la couleur bleue, en référence à la peinture chinoise. Ce style très raffiné plaît aux portugais. Le bleu va dominer dans les réalisations de cette époque mais il faut noter que sur cinq siècles de création d’azulejos au Portugal, on retrouve seulement 70 ans d’azulejos exclusivement bleus et blancs.

L'âge d'or et le désir d'académisme

Suite à l'influence hollandaise, les ateliers nationaux engagent des peintres de formation académique plutôt que des artisans. Ce désir d’académisme rompt avec l’imperfection que nous évoquions plus haut et annonce l’âge d’or des azulejos du XVIIIe, désormais signés par des maîtres tels que Manuel dos Santos et António Pereira. Sous Dom João V, on réalise d’immenses panneaux narratifs qui mettent souvent en scène la vie quotidienne des nobles. Des figures humaines grandeur nature invitent à entrer dans les palais qui sont souvent décorés par des albarradas, de grands vases de fleurs. C’est aussi la grande époque des trompe-l’œil, qui créent des jeux intéressants avec l’architecture des palais.

Les azulejos dans la reconstruction de Lisbonne apr1es le Tremblement de terre

En 1755, Lisbonne est détruite par un tremblement de terre. Il nous reste aujourd’hui un magnifique panneau qui témoigne de l’architecture de la cité avant la tragédie. Beaucoup de petits carreaux de céramique ont résisté au cataclysme et sous la supervision du Marquis de Pombal qui est le grand responsable de la reconstruction de la ville, on récupère d’anciens azulejos-types (à partir du XVIIe siècle, on produit des azulejos en série qui coûtent moins cher) afin d'embellir les façades reconstruites. Les gens placent aussi de petits panneaux de dévotion sur les édifices, les registos, qui ont des vertus de protection contre les grandes catastrophes. La ville devient ainsi un espace religieux qui détourne l’azulejo vers l’extérieur.

L'azulejo et l'ascension sociale des nouveaux bourgeois

Au XIXe siècle, la société est en plein changement. Ce sont maintenant de nouveaux bourgeois issus du commerce et de l’industrie qui commandent des panneaux représentant leur ascension sociale. À Sintra, en 1839, le prince Ferdinand, d’origine prussienne, fait construire le Palais de Pena, qui sera achevé en 1885. Ce palais exubérant mélange les styles architecturaux et on intègre des azulejos à sa façade.

Dans les années 1950, les azulejos se démocratisent et s’emparent des façades portugaises. Les carreaux sont fabriqués de façon semi-industrielle et industrielle à Lisbonne, à Porto et à Gaia. On peut observer des différences de style entre le nord et le sud du Portugal. Par exemple, on utilise souvent des reliefs sur les façades du nord alors que celles du sud sont réalisées avec des azulejos plus traditionnels.


L'art de l'azulejo au XXe siècle: un symbole d'identité nationale


Au début du XXe siècle, on remarque une réémergence des compositions d’auteurs. C’est le cas du peintre romantique Jorge Colaço (1868-1942) qui conçoit des panneaux ensuite produits dans des fabriques de Lisbonne. Le développement urbain et notamment la construction du métro à Lisbonne intègrent l’art de l’azulejo. Dans le métro de Lisbonne, on retrouve des créations très diversifiées, réalisées principalement par des artistes portugais qui collaborent avec des architectes (1965 : Maria Keil, 1985 : Maria Helena Vieira da Silva) mais aussi par des artistes d’ailleurs (Zao-Wo-Ki, Sean Scully). Enfin, lors l’Exposition universelle de 1998, plusieurs artistes sont invités à utiliser l’art de l’azulejo de façon innovatrice.
Plus qu’un art utilitaire ou ornemental, l'art de l’azulejo apparait finalement comme un art à part entière au Portugal.


Conclusion

Depuis le XVe siècle, les portugais n’ont jamais cessé de produire des azulejos. Visibles à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments, les azulejos sont un des symboles de l’identité nationale. En observant les grandes lignes de leur histoire et de leur évolution, on fait un véritable voyage dans l’histoire et la culture portugaises. Nous avons découvert à quel point cette forme d’expression est révélatrice de la sensibilité des portugais. En effet, comme nous l'avons souligné plus tôt, nous étions émus par le côté pragmatique et expéditif des artisans portugais du XVIIe siècle. Ces artisans sont décalés dans un siècle où l’on valorise la perfection technique dans les arts. À notre avis, c’est ce décalage qui fait toute la richesse du Portugal. Les Portugais ont osé s’inspirer de toutes sortes de cultures pour leurs créations et je pense que si l'art des azulejos n'a jamais connu de fin, c'est parce qu'il n'a jamais été enfermé dans un carcan trop rigide. En ce sens, les lacunes techniques ont permis aux portugais de conserver une grande ouverture d’esprit. Cette forme d’art spécifiquement portugaise dévoile aussi une sensibilité face à la matière car les azulejos sont vivement colorés et ils ont aussi la propriété de refléter la lumière. En ce sens, ils attirent aussi les touristes qui, comme nous, sont fascinés par tout cet éclat!

SOURCES :
Conférence
Pais, Alexandre Nobre. Octobre 2009. Conférence sur l’art de l’azulejo au Portugal présentée en collaboration avec le Musée national de l’Azulejo de Lisbonne et l’Université de Montréal.

Sites Web
Instituto Camões. Site pour la promotion de la langue et de la culture portugaise à l'étranger [En ligne].
Document sur l’art de l’azulejo : http://www.instituto-camoes.pt/cvc/azulejos/fr/azulejo.html (page consultée le 28 novembre 2009)

Museu nacional do azulejo. Site du Musée national de l’azulejo à Lisbonne [En ligne].
http://mnazulejo.imc-ip.pt/ (page consultée le 26 octobre 2009)

Teia Portuguesa. Site d’appui à l’enseignement et l’apprentissage de la langue portugaise et des cultures lusophones [En ligne].
www.teiaportuguesa.com (page consultée le 26 octobre 2009)

Wikipédia. Encyclopédie ouverte en ligne [En ligne].
Azulejo : http://fr.wikipedia.org/wiki/Azulejo (page consultée le 26 octobre 2009)

Palacio de Pena : http://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_national_de_Pena (page consultée le 30 novembre 2009)