D. Sébastien,
illusion nationale

Par
Cidália Silva


D. Sébastien, le roi devenu un mythe, une légende au cœur de l'histoire. Il a peut-être été le roi le plus insignifiant pour le Portugal, mais aussi celui qui a marqué son histoire et sa culture comme nul ne l'avait fait auparavant. D'où vient le mythe sébastianiste? Pourquoi D. Sébastien est-il devenu le symbole de l'espoir, le messie portugais, celui qui reviendra un jour de brouillard pour sauver le pays des mains de l'ennemi? Pourquoi représente-t-il l'attente d'un jour meilleur? Superstition? Tradition? Il faudrait regarder un peu en arrière pour comprendre comment D. Sébastien est devenu le symbole de l'illusion nationale. Autour de 1540, Bandarra, troubadour (trovador) populaire parlait déjà "d'un roi bien fortuné et de bonne prospérité que défendra [le pays] de bon gré(?). Il gardera la loi de toutes les hérésies et dérobera toutes les fantaisies de ceux que gardent, ce qu'[il ne savait pas] ""Il prendra en son pouvoir et avec grand savoir, tous les ports de l'au-delà, Marrocos et Tremecem. Et tout fera ( ou a fait) à son vouloir". Prophéties populaires d'un roi sauveur qui viendrait un jour, défendre la patrie et conquérir les terres maures, en les sauvant des mains païennes. Serait-ce D. Sébastien? Le règne de D. João III, grand-père de D. Sébastien, n'a pas été l'un des plus prospères pour le Portugal. Il correspond en fait au début de la décadence de l'empire portugais : les coûts de l'administration et de la défense d'un vaste empire dispersé dans les quatre coins du monde, feront en sorte que le monarque délaissera certains territoires surtout en Afrique, pour privilégier le peuplement et le renforcement administratif du Brésil. À cela s'ajoutent les attaques à la marine mercantile portugaise de la part des corsaires français. Ce qui rend très difficiles les échanges diplomatiques entre la France et le Portugal. La situation interne du Portugal n'est pas des plus roses non plus. Alors que D. João III fait des efforts pour régulariser et rendre plus efficace l'administration du pays, la situation sociale de Portugal devient de plus en plus précaire. Celle-ci est ponctuée par des périodes d'épidémies et de famine ainsi que d'autres catastrophes naturelles qui affaiblissent de plus en plus le peuple ainsi que la situation économique du pays.D. João III est né plongé dans le théâtre avec la présentation de l'Auto da Visitação, une pièce du grand dramaturge Gil Vicente, écrite en honneur de D. Maria de Castela au moment de la naissance du monarque. Tout au long de sa vie, D. João III fera preuve d'une grande ouverture et d'un grand intérêt au niveau culturel. Cette époque se relie à des grands noms de la culture portugaise comme Gil Vicente, déjà mentionné ; le grand poète Camões, auteur de l'Épopée de Os Lusíadas (emblème nationale ); le grand humaniste Damião de Góis, ami intime de D. João III et de Erasme de Rotterdam. Il est l'auteur des Chroniques de D. Manuel. Garcia da Orta, grand médecin et naturaliste du XVI ème siècle et bien d'autres. Toutefois cette ouverture s'est métamorphosée en censure et persécution avec l'implantation de la Sainte Inquisition, s'intensifiant surtout après sa mort. D'après Ailton Amaral dans Nomes de gente au Brazil , l'implantation de l'Inquisition au Portugal, ayant comme conséquence la persécution des Juifs et des nouveaux chrétiens, a beaucoup contribué à l'affaiblissement économique du pays puisque une grande partie de l'activité économique et scientifique reposait surtout entre les mains des Juifs. De plus les familles qui sont parties correspondent en majorité aux familles les plus riches. Par contre, il ne faut pas oublier que cela a aussi permis au monarque de s'approprier des biens des nouveaux chrétiens, qui n'étaient surtout pas à négliger.À toutes ces difficultés économiques et politiques s'ajoute un autre problème, celui de la succession de la couronne. D. João III a eu neuf enfants, six d'entre eux garçons. Dans les meilleures des mondes, avec une lignée de neuf enfants, il ne devrait pas avoir de problème de succession, n'est-ce pas? Mais il faut ajouter que tous ses enfants sont décédés, la majorité en bas âge, à l'exception de D. João, le père de D. Sébastien décédé en 1552 à l'âge de 15 ans et de D. Maria, première épouse de Filipe II, roi d'Espagne, décédée elle aussi à 18 ans. À sa mort, D. João III, le Pieux ( O Piedoso, surnom que lui a été attribué grâce aux bonnes relations qu'il a toujours établies avec le clergé), à qui on pourrait facilement appelé le Malheureux, s'est vu sans successeur en âge de gouverner. En1557, année de la mort de D. João III, D. Sébastien, seul successeur à la couronne portugaise, ne comptait alors que trois ans. La mort prématurée de son père, 18 jours avant sa naissance, place le pays dans une situation délicate sans monarque. D. Sébastien devient alors le seul espoir de Portugal. Advenant le cas de sa mort, le pays retomberait de nouveau dans les mains de l'Espagne (nous pouvons donc imaginer avec quel soin cet enfant-roi n'a-t-il pas été élevé!). Vu son très jeune âge, D. Sébastien reste sous la tutelle de sa grand-mère Dona Catarina d'Autriche et du Cardinal D. Henrique qui devront en même temps assumer la régence du pays. L'éducation de D. Sébastien, est assumée par des maîtres Jésuites. Ce qui va à l'encontre du souhait de D. João III, qui aimerait voir celle-ci assurée par son grand ami, Damião de Góis (un des plus grands humanistes et historiens portugais), condamné plus tard par le Saint-Office. D. Sébastien arrive au pouvoir à 14 ans. Le pays se dirige vers la décadence à tous les niveaux. Grandissant avec des idées de grandiose et des rêves de conquête. Il n'a aucun intérêt pour les affaires internes du Portugal. Influencé par les récits des Grandes Découvertes, il veut aller reconquérir les terres perdues. Habitué à ce qu'on réponde à ses caprices et à faire selon ses quatre volontés, D. Sébastien décide en 1578 de partir en croisade avec une armée de jeunes affaiblis et inexpérimentés, vers la reconquête de l'Afrique. On se retrouve alors avec un jeune roi, capricieux aux idées irréalistes (dirai-je même mégalomanes) auxquelles personne n'ose pas mettre un frein et qui entraîneront le pays, déjà affaibli, vers sa perte totale. La bataille d'Álcacer Quibir, le 4 août 1578, marque la défaite de l'armée portugaise et la disparition de D. Sébastien. Je dis bien la disparition et non la mort car c'est d'ici qui prend origine le mythe sébastianiste.D. Sébastien représentait le seul espoir de Portugal. On parlait de lui avant même sa naissance, Camões lui fait des éloges dans la grande épopée des Lusíadas, tout en prévoyant le déclin de Portugal. La mort de D. Sébastien représentait le cauchemar du peuple Portugais : la réunification des deux couronnes et la perte de l'indépendance de Portugal. Alors dans une tentative de négation et de refus de la réalité, une légende d'espoir s'est crée autour de l'image mythique de D. Sébastien. Celui-ci ne serait pas mort, il est caché quelque part, en attendant le moment propice pour revenir et sauver la Patrie. Et il reviendra un jour monté sur son cheval blanc, un matin de brouillard… Nous parlons ici du mythe sébastianiste, qui a pris naissance avec la disparition de D. Sébastien. Mais cet événement ne viendrait pas mettre un nom à un trait de caractère national déjà existant avant même l'apparition de ce roi prodige, devenu espoir et qui s'est éteint en catastrophe? En mon opinion, le sebastianisme prend racine bien avant sa naissance dans les traditions hébraïques, transposées au christianisme par l'image d'un sauveur qui viendra un jour délivrer le peuple de ses souffrances. C'est un mythe de foi, d'espoir caractérisé par l'attente des jours meilleurs. Et pendant qu'on attend son retour miraculeux, D. Sébastien s'amuse à peupler l'imaginaire littéraire, culturel et national des Portugais imprégnés de sébastianisme.