Exploration du Portugal à travers sa littérature

par

Jean-Christian Mondor

Peu de temps s’est écoulé depuis le jour où tout ce que je connaissais du Portugal se limitait à son drapeau. Étant jeune, je jouais régulièrement à un jeu stimulant la mémoire s’intitulant Drapeaux et qui consistait à retrouver deux fanions identiques cacher ici et là sur une surface de jeu. Malgré le talent que je possédais pour me rappeler l’emplacement des drapeaux, cela ne m’a jamais permis de connaître les multiples richesses culturelles que renferme en son sein les nations du monde. Pour cela, il me semblait nécessaire de créer un contact direct avec les différents peuples et comme il m’était difficile de visiter chaque pays du jeu, j’ai opté de les découvrir à l’aide de la littérature.

Afin de situer ce fameux drapeau sur la mappemonde, j’ai d’abord effectuer quelques recherches sur son histoire. J’ai donc entrepris un vox pop auprès de plusieurs personne de mon entourage pour m’enquérir de leurs connaissances sur le Portugal. J’ai été déconcerté de constater que le Portugal, bien qu’il soit reconnu depuis des années pour la qualité de son vin n’en demeure pas moins un pays méconnu d’une grande majorité de Québécois. Bizarrement, le Portugal semble s’effacer de notre mémoire au profit de l’Espagne, oubliant ainsi l’apport primordial des Portugais au XV et XVIe siècle lors des grandes explorations maritimes . Car non seulement ont ils été les premiers à implanter un corridor maritime longeant les rives de l’Afrique du Sud jusqu’en Inde, prenant ainsi les reines du contrôle sur le commerce des épices, les Lusitaniens ont également été les artisans de la colonisation du Brésil, pays le plus vaste et important de l’Amérique du Sud. N’est-il pas étonnant dans ce cas que Hernan Cortés, conquérant espagnol du Mexique, soit plus reconnu que Pedro Alvares Cabral découvreur du Brésil en l’an 1500 (1)?

Si l’histoire du Portugal se confond aisément avec celle de l’Espagne, imaginez comment les gens peuvent être désarmé et ignorant de la culture des Lusitaniens, aussi riche et diversifiée qu’elle peut l’être. Alors que les mœurs et coutumes sont de plus en plus à la portée des individus, avec l’aide de la télévision ou de l’internet; que les frontières s’écroulent les unes après les autres pour nous révéler les cultures du monde; que les écrivains québécois, canadiens, français, anglais, américains, allemands, russes, japonais, espagnols et nombreux autres, sont étudiés, admirés et connus, les chances de connaître une personne possédant des connaissances de base de la littérature portugaise, ici au Québec, demeure encore aujourd’hui rarissime. À ce chapitre, j’ai été abasourdi de constater que la bibliothèque de ma région, incluant maintenant celles de deux autres municipalités fraîchement fusionnées, ne possède que six romans d’auteur portugais, soit quatre de Fernando Pessoa et deux de José Saramago, pourtant récipiendaire du fameux prix Nobel de littérature en 1998.

D’ordre général, Zola, Flaubert, Balzac, Dante, Wolf, Homère, Platon, (etc.) sont des auteurs faisant partie intégrante du bagage culturel « normal » des Occidentaux, que nous ayons lu leurs œuvres ou non. Quand est-il par contre, si nous prononçons les noms de Camões, Fernando Pessoa, Gil Vicentes, José Saramago ou même Eça de Querós? Irrémédiablement, nous verrons apparaître d’énorme point d’interrogation dans les yeux de nos interlocuteurs. Et pourtant, il ne s’agit ici que de quelques-uns uns des écrivains les plus célèbres du Portugal qui ont bien sur profondément marqué leur pays, mais également leurs époques aussi impérativement que Rousseau, Cervantes, Proust, Tenesse Williams ou même Michel Tremblay peuvent l’avoir fait.

Mais mon exploration a réellement débuté en janvier 2004 lorsque j’ai eu le privilège de rencontrer deux passionnés de la littérature portugaise qui ont su me transmettre leur amour pour ce pays, ses artisans et bien sur, sa littérature. Au fils des semaines, ils m’ont initié et guidé dans l’univers des Lusitaniens. Entre autre, ils m’ont permit de découvrir un écrivain possédant une écriture d’un rare réalisme et d’une justesse hors du commun, j’ai nommé José Maria Eça De Queirós. Né le 25 novembre 1845, Eça est un enfant illégitime. Il est aussitôt confié à ses grands-parents qui assureront sa garde jusqu’à leurs décès. Lors du mariage de ses parents, Eça a quatre ans. Malgré ce mariage et la naissance de frères et sœurs, Eça passera sa vie à être exclu de sa propre famille. En fait, ce n’est que le jour de son mariage que Eça est officiellement légitimé par ses parents, il a alors quarante ans. Les études de Eça à l’université de Coïmbre le conduiront à occuper les fonctions de magistrat, tout comme son père. Ce métier le conduira à voyager énormément, de l’Égypte à la France en passant par Cuba et même le Canada. Eça amorce sa carrière d’écrivain vers 1870 avec Le mystère de la route de Sintra suivit peu de temps après par Une singulière jeune fille blonde. Mais son œuvre majeure est son contredit son troisième roman O crime do padre Amaro (Le crime du padre Amaro), dont la première version remonte à 1875 et grâce à laquelle Eça de Queirós impose son nom et son écriture dans le monde de la littérature. Admirateur de Flaubert et de Zola, de Queirós est le premier auteur portugais à transposer le réalisme dans la littérature portugaise, contrevenant sans ambages au style prédominant de l’époque c’est-à-dire le romantisme. Conscient que le monde dans lequel il vit se vautre dans un rêve fantaisiste imposé par le romantisme, Eça de Queirós trouble énormément avec la publication de son roman, qui représente sans artifices les habitants du Portugal avec leurs qualités bien sur, mais surtout avec leurs défauts. Écrit après un court séjour de six mois à Leiria, où il est appelé à combler le poste de maire, Le crime du padre Amaro est le récit des comportements que Eça à eu tout le loisir d’observer au sein de la population. Dès lors, Eça de Queirós ne cessera d’écrire et de condamner les mœurs d’un peuple qu’il adore mais qui le désole profondément. Étrangement, il n’aura de cesse de critiquer toute sa vie les autorités dirigeantes, gouvernementales ou religieuses, tout en conservant son poste de magistrat. Il sera d’ailleurs nommé consul à Paris en 1888 ce qui ne l’empêchera pas de poursuivre ses écrits. En fait, il peaufinera son écriture jusqu’au jour de sa mort qui survint tôt, trop tôt. Âgé de 55 ans, José Maria Eça de Queirós s’éteint à Neuilly-sur-Seine en 1900.

C’est en discutant avec ces deux passionnés que j’ai considéré que cet auteur serait parfait pour me faire découvrir le Portugal. C’est avec plaisir que j’ai entrepris la lecture de cet œuvre magistrale dans laquelle de Queirós s’évertue à décrire fidèlement la vie et le comportement de la population qu’il a côtoyé à Leiria, Le crime du padre Amaro. Ce roman est un véritable et formidable pied de nez à l’autorité religieuse ainsi qu’à ces femmes dévotes et dévergondées, car son auteur ne se cache pas pour démontrer les jeux de pouvoir et de manipulation que certains dirigeant de l’Église usent sur les fidèles ainsi que de la crédulité de certaines femmes pour ses hommes représentant de Dieu. Le padre Amaro, entre autre, est un personnage pervers et paresseux qui n’a d’autres desseins que son confort et la satisfaction de ses petits caprices, ce qui le conduira à entretenir une relation charnelle auprès d’une jeune vierge dévote. Le portrait que de Queirós peint des femmes portugaises est peu flatteur. Il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre ce qu’il écrit et la relation qu’il a vécu avec sa propre mère. Règlement de compte avec une mère absente ou simple exhibition du plaisir malsain des femmes du Portugal ? Difficile de l’affirmer en excluant tout doute raisonnable.

Par contre, le réalisme dont fait preuve la plume de Eça ne nous laisse aucun doute quant à justesse avec laquelle il peint et démontre les mœurs bien ancrées dans la tradition des habitants et des habitantes de ce petit coin du monde. Il est étonnant de constater l’actualité des propos de ce livre rédigé il y a près de 130 ans. Nous restons ébahis par la description précise et articulée des protagonistes que de Queirós utilise pour la présentation de son récit. La lecture de ce roman réaliste portugais est ni plus ni moins une exploration du Portugal au cœur même de sa culture. Bien sur, cette connaissance du Portugal demeure tout de même subjective puisque m’a été permise uniquement par le transfert d’émotion d’un auteur projeté sur une feuille blanche, taché d’encre et de mots. Cependant, la littérature demeure le moyen le plus approprié pour apprivoiser un peuple et un pays que nous n’avons pas loisir de foulé de nos propres pieds.


(1) DURAND, Robert. Histoire du Portugal, « collection nation d’Europe », édition Hatier, 1992, 352pages
Idem